Face aux inondations qui ont récemment endeuillé Kinshasa, Nicolas-Patience Basabose Rusangiza Gasigwa Tata Ande Bolongola Wa Badjoko, urbaniste et architecte au sein de la firme BasaboseStudio basée à Kinshasa, Johannesburg et Singapore, donne les clés pour non seulement réparer, mais également repenser entièrement la capitale. Entretien.
Infos.cd : Quelles sont les vraies causes des inondations à Kinshasa ?
Nicolas-Patience Basabose : les récentes inondations à Kinshasa, notamment autour de la rivière Ndjili sont largement dues à une urbanisation non maîtrisée de la ville. De nombreuses constructions ont été réalisées dans des zones inondables ou directement sur des canaux d’évacuation, rétrécissant le lit naturel de la rivière et empêchant un bon écoulement des eaux.
L’absence totale des infrastructures de drainage dans ces quartiers mal planifiés est aussi un autre facteur majeur. Les caniveaux et collecteurs sont souvent bouchés ou inexistants dans certains cas, ce qui empêche les eaux de pluie de s’évacuer correctement, surtout lors de fortes précipitations comme la fois passée.
Le comportement incivique de certains habitants, qui jettent leurs ordures directement dans les rivières et les canaux, bloque les voies d’écoulement et favorise ces débordements.
Enfin, les effets du changement climatique, avec des pluies plus intenses et imprévisibles, viennent accentuer ces vulnérabilités.
Face aux effets du changement climatique, peut-on résister ?
Ce changement climatique est une réalité. Sauf que les villes organisées arrivent tant mieux que mal à mitiger ses effets. Mais ce sont surtout les failles dans la gestion urbaine et environnementale de la ville province de Kinshasa qui expliquent l’ampleur des dégâts.
Les autorités de la ville pouvaient-ils empêcher ce drame ou du moins, limiter les dégâts par des mesures de prévention ?
Oui, les autorités de Kinshasa, à différentes périodes, auraient pu prévenir ou du moins limiter les dégâts liés aux inondations par plusieurs mesures concrètes.
D’abord, en imposant et en faisant respecter des règles d’urbanisme strictes, notamment en interdisant les constructions dans les lits des rivières, les zones marécageuses ou les canaux d’évacuation. Une planification urbaine rigoureuse aurait permis de préserver les zones à risque et en faire des espaces de recréation à moindre risque de perte humaine, pour empêcher que les malveillants ne construisent dessus.
Ensuite, un entretien régulier ou la construction des infrastructures de drainage (curage des caniveaux, réparation des collecteurs) auraient fortement réduit l’impact des pluies. Ce type de maintenance préventive est essentiel, surtout en période de saison des pluies.
Enfin, des campagnes de sensibilisation à la gestion des déchets et des mesures pour sanctionner les comportements inciviques auraient permis de garder les voies d’évacuation fonctionnelles. Le tout accompagner d’un système d’alerte et de gestion de crise aurait pu sauver des vies et limiter les pertes à tous les niveaux.
Quels sont les véritables problèmes de la ville dans ce secteur ?
Les véritables problèmes de Kinshasa en matière de gestion des inondations et du secteur hydrologique sont très profonds et souvent structurels :
Urbanisation anarchique : la croissance démographique rapide de la ville-province n’a pas été accompagnée d’un aménagement du territoire adéquat. Beaucoup de quartiers se sont développés sans autorisation ni planification, avec des constructions sur les zones inondables, les berges des rivières ou même dans les lits des cours d’eau.
Infrastructures insuffisantes et mal entretenues : le réseau de drainage est soit vétuste, soit inexistant dans plusieurs zones de Kinshasa. Là où il existe, il est rarement entretenu. L’absence d’un système d’évacuation des eaux pluviales efficace rend la ville extrêmement vulnérable dès qu’il pleut abondamment.
Mauvaise gestion des déchets : le manque de systèmes de collecte efficaces pousse une grande partie de la population, sans craindre l’autorité de l’état, à jeter les déchets dans les rivières, les caniveaux ou en pleine rue. Cela bouche les conduits d’évacuation et favorise les débordements lors des pluies, même les plus petites.
Manque de gouvernance et de volonté politique : il y a souvent un décalage entre les grands discours et les petites actions.
Mais pourquoi les autorités n’arrivent-elles pas à corriger toutes ces failles ?
Les plans de prévention existent parfois sur papier, mais leur mise en œuvre est faible ou inexistante, souvent à cause de la corruption qui reste un cancer pour cette nation, du manque de coordination entre services ou carrément de l’absence de financement.
Ces problèmes cumulés font que chaque saison des pluies devient une menace pour des milliers de familles vivant dans les zones à risque.
Ces problèmes d’urbanisation ont-ils des solutions à court terme ?
Oui, certains problèmes d’urbanisation à Kinshasa peuvent être partiellement atténués à court terme, même si des solutions durables nécessitent des réformes à long terme.
Curage et réhabilitation des caniveaux : un programme intensif de curage des caniveaux, collecteurs et rivières secondaires peut être lancé immédiatement. Cela permettrait de libérer les voies d’écoulement et de réduire considérablement les risques d’inondation dès les prochaines pluies.
Démolition des constructions à haut risque : dans les zones les plus critiques comme dans les lits des rivières. Les autorités peuvent ordonner des démolitions ciblées, avec relogement ou indemnisation d’urgence. Cela permettrait de dégager les zones stratégiques pour l’écoulement des eaux.
Mobilisation communautaire : encourager la participation des communautés locales à l’entretien des systèmes de drainage (par des « journées salongo » organisées par quartier, par exemple) peut créer une dynamique collective efficace et rapide. La population doit comprendre qu’elle est la première victime à chaque catastrophe.
Ces actions, si elles sont bien coordonnées, peuvent déjà limiter les dégâts et poser les bases d’une vraie réforme urbaine de Kinshasa à plus long terme.
Vous êtes l’un de ceux qui proposent un plan d’aménagement de Kinshasa. Quels sont ses principaux axes ?
À ma connaissance, aucune ville moderne n’a réussi à se développer de manière durable sans s’appuyer sur un plan directeur d’aménagement, complété par des documents réglementaires annexes. Pour Kinshasa, la dernière version officielle de ce plan remonterait, selon mes recherches, aux années 1980. J’ai pu consulter une copie de ce document il y a environ six ou sept ans, conservée dans les archives de l’Institut Géographique du Congo. Depuis lors, aucun plan actualisé ne semble avoir été adopté ni mis en œuvre.
Or, Kinshasa, cette mégalopole en pleine expansion, continue de se développer sans cadre directeur actualisé, ce qui compromet gravement sa résilience et sa cohérence territoriale. Avant même d’envisager une vision stratégique à long terme, il est indispensable d’adopter une approche réparatrice pour corriger les déséquilibres déjà présents. Cela passe par la réorganisation de l’occupation du sol de la province, l’identification et la protection des zones à risque (lits de rivières, zones marécageuses, pentes instables), la relocalisation progressive des habitants installés dans ces zones, avec des programmes de logements alternatifs décents, la mise en place de zones vertes de rétention des eaux (bassins, parcs inondables). Il y a aussi la réhabilitation et l’extension des infrastructures de drainage, le curage systématique et régulier des caniveaux existants, la construction de nouveaux réseaux de drainage adaptés à la topographie et au climat local ou encore l’intégration d’infrastructures « vertes » (tranchées drainantes, noues végétalisées) dans les nouveaux quartiers.
Il faudrait en outre maîtriser de la croissance urbaine et instaurer un plan de zonage clair et contraignant (zones résidentielles, commerciales, industrielles, agricoles), mais également renforcer des mécanismes de contrôle des constructions (permis de bâtir, inspections, sanctions).
La Création de pôles urbains secondaires pour désengorger le centre-ville (villes satellites planifiées) est une autre option, sachant que nous occupons actuellement moins de 20% de la superficie de la province de Kinshasa.
Il convient cependant de préciser qu’un véritable plan directeur va bien au-delà de cette thématique. Il mérite un traitement global et une discussion approfondie à l’échelle métropolitaine.
Un plan directeur ne peut être pleinement efficace que s’il est accompagné de règlements spécifiques, tels que le règlement de zonage, le règlement de construction, le règlement de lotissement, un plan général d’équipement, un plan de développement stratégique et bien plus.
Sa réussite repose sur un partenariat solide entre l’État, les autorités locales, les urbanistes et autres métiers nécessaires pour une bonne gestion urbaine, les bailleurs de fonds, mais aussi et surtout sur l’implication active de la population. Il ne s’agit pas simplement de « réparer » Kinshasa, mais de la repenser entièrement, afin qu’elle devienne une ville plus juste, plus résiliente, et mieux adaptée à nos réalités contemporaines.
Propos recueillis par Socrate Nsimba