Relations bilatérales entre son pays et la RDC, aide humanitaire, résolution du conflit armé dans l’Est du pays, bourses d’étude… L’ambassadeur de la fédération de la Suisse, Chasper Sarott s’est confié à Infos.cd dans une interview exclusive.
Infos.cd : Vous êtes à Kinshasa depuis plus de 20 mois. Quel est à ce jour, le niveau des relations entre la confédération suisse et la République démocratique du Congo ?
Chasper Sarott : Nos relations relations sont d’abord très bonnes et amicales. Depuis l’accession de la République démocratique du Congo à l’indépendance, la Suisse entretient des relations amicales avec les autorités locales et le peuple congolais. L’ambassade a ouvert en 1962 avec pour vocation de représenter la Suisse et les intérêts suisses en RDC, ainsi que de renforcer les multiples liens entre nos deux pays.
Dans quels secteurs particuliers votre pays s’engage-t-il en RDC ?
En RDC, la Suisse s’engage dans l’aide humanitaire, la coopération au développement, la promotion de la paix et les droits de l’homme ainsi que les questions de migration. Mon pays est aussi représenté à Bukavu dans le Sud-Kivu par un Bureau de Coopération qui fait partie du « Programme Grands Lacs ». On est dans l’aide humanitaire depuis les années 90, suite aux guerres de ces années. C’est la période à laquelle on a commencé à avoir une présence permanente dans ce pays. Ce qui fait que la RDC est devenue, pour la coopération internationale, un pays prioritaire pour la Suisse.
Aujourd’hui on fait beaucoup au plan humanitaire, notamment avec la guerre dans l’Est qui a occasionné 7,8 millions de déplacés internes. On contribue à la réponse humanitaire. En même temps, on essaye de maintenir des projets de développement, parce qu’il faut aussi essayer de développer.
Parlant du développement, dans quels secteurs ou domaines sont orientées vos actions ?
Nous avons trois piliers : premièrement la gouvernance. Ici, nous travaillons avec plusieurs stations de radios locales dans l’Est du pays pour le renforcement des capacités. Nous soutenons ces radios pour qu’elles contribuent à l’accès de l’information à la population. Nous soutenons aussi des projets culturels. Nous soutenons des centres culturels à Bukavu. Ces centres travaillent au niveau transfrontalier parce qu’il y a beaucoup d’échanges à l’Est. Et c’est important de garder ces échanges en ce moment où le discours politique est très compliqué. Dans le domaine de la gouvernance, nous avons aussi des projets qui vont au-delà du Sud-Kivu.
L’autre pilier important c’est la santé. La Suisse travaille étroitement avec les autorités sanitaires locales, particulièrement la Division provinciale de la santé du Sud-Kivu. Nous travaillons avec 15 zones de santé. Enfin, il y a la formation professionnelle. On soutient des centres de formation professionnelle où l’on essaie de donner une perspective aux jeunes qui terminent les écoles. Il est important d’être capable d’apprendre un métier, peut-être devenir entrepreneur pour gagner soi-même la vie, voire créer des emplois.
Où sont ces centres?
Il y a plusieurs centres locaux dans nos zones prioritaires. Ils sont focalisés sur trois provinces du pays : les Sud et Nord Kivu ainsi que l’Ituri. La RDC étant un grand pays, c’est important d’avoir ce focus qui permet de bien faire les choses, même si les besoins sont un peu partout. Au-delà de ce que fait la Suisse officielle (gouvernement), il y a des ONG locales liées à la Suisse qui interviennent aussi dans ce secteur. Nous soutenons également une association qui le fait à Mbandaka, en province de l’Équateur. Nous souhaitons que l’on apprenne aux jeunes non seulement un métier, mais aussi leur doter d’un minimum de compétences dans le domaine de la comptabilité et en marketing. Il faut savoir calculer ce que l’on gagne. Il faut aussi de la publicité si vous avez détenez un garage, une page Facebook, un panneau pour annoncer ce que vous faites.
Comment votre pays aide la RDC à sortir du conflit armé qui l’oppose au Rwanda ?
Nous contribuons volontiers dans le partage d’expériences si on nous le demande. Aujourd’hui, la Suisse est déjà dans la réponse humanitaire. A ce jour, 7,8 millions des déplacés internes ont besoin de l’assistance. On le fait depuis longtemps. Je crains qu’on le fasse encore longtemps. Tous les fonds qu’on affecte à l’aide humanitaire, c’est pour sauver des vies. En même temps, ce n’est pas cet argent qui va développer le pays. On est en train de soutenir une situation que l’on ne veut pas voir longtemps durer.
Comment effectivement sortir de cette situation ?
Il faut forcément une solution politique au conflit de l’Est afin de réduire les besoins humanitaires. Les défis sont énormes. La situation n’est pas si simple qu’on voudrait bien le faire croire. Donc, il y a d’un côté le conflit entre pays. De l’autre, des conflits entre les populations et les groupes armés. À ce niveau, nous essayons de travailler avec les communautés locales pour encourager et faciliter le dialogue entre groupes armés et populations pour baisser les tensions.
Par ailleurs, c’est un domaine où le travail se fait souvent de manière discrète. L’on ne doit pas forcément en faire la UNE des journaux. Mon pays a de la chance d’avoir une certaine expertise. Par son image pacifique, il aide à rassembler certaines personnes autour d’une table.
La Suisse est depuis janvier 2023 membre non permanent du Conseil de sécurité des Nations-Unies. Une bonne position pour essayer aussi de bouger les choses pour le retour de la paix dans l’Est ?
Au niveau global, en tant que membre de cet organe de l’ONU, on est évidemment autour de la table pour tout ce qui concerne la RDC. C’est notamment au sujet de la MONUSCO qui a pour mandat de protéger les populations civiles et qui, ensemble avec le gouvernement, a décidé de s’engager avec la première phase en cours dans la province du Sud-Kivu. C’est important pour nous d’accompagner ce processus, de nous rassurer que ce pouvoir régalien de la RDC soit assumé afin de protéger la population dans l’Est du pays.
Vous avez échangé récemment avec le ministre congolais de l’Enseignement sur le partenariat entre les universités de la Suisse et celles de la RDC. Où en êtes-vous ce jour ?
Chaque échange entre personnes dépend de la volonté qui sont impliquées. C’est vrai qu’une délégation constituée d’une quinzaine de recteurs, conduite par le ministre de l’Enseignement supérieur et universitaire, s’était rendue en Suisse pour rencontrer des écoles pour discuter et voir dans quel domaine ces écoles peuvent collaborer. Cependant, pour certaines universités, ces échanges se poursuivent pour trouver des voies et moyens de mettre en œuvre des partenariats.
Néanmoins, il faut aussi rappeler qu’en RDC, les universités font partie de l’administration centrale, donc du ministère de tutelle, contrairement en Suisse où ces institutions appartiennent soit à la province ou sont privées et ont plus de liberté. Dans cet ordre, ce n’est pas forcément la Confédération Suisse qui doit dire ce qu’il faut faire à ce niveau. Chaque université ici en RDC est encouragée à essayer un partenariat et vice-versa. Il y a aussi plein de domaines où des chercheurs des deux pays peuvent collaborer.
Certains Congolais disent que le visa Suisse est réputé difficile à obtenir. Mythe ou réalité ?
J’entends souvent que le visa suisse est difficile à obtenir. Je pense que c’est un mythe répandu que je ne dois pas essayer de renforcer.
La Suisse fait partie de l’espace Schengen comme une grande partie de l’Union européenne. Ce qui revient à dire qu’avec un visa Schengen, cela vous permet de voyager et circuler librement dans l’espace européen. Les conditions pour l’obtention de ce visa sont les mêmes. Je ne pense pas que le visa suisse est aussi difficile à obtenir que le français, le belge, l’italien et l’espagnol, parce que c’est exactement la même chose.
Pour ce qui est des étudiants, dès qu’un jeune congolais est accepté dans une université en Suisse, il faut un visa long séjour qui est autorisé par la province où est implantée l’université. Pour ce visa là, je ne connais pas des cas où il a été refusé, parce que nous essayons de faciliter les échanges pour les étudiants.
La Suisse est peut-être le pays où la vie coûte chère, ceci n’empêche pas les nombreux congolais d’yaller chaque année faire des études.
Quelles sont les conditions pour bénéficier des bourses d’études du gouvernement suisse ?
On a un système des bourses au niveau de la confédération Suisse. Ce sont ces bourses qui permettent de vivre et de payer des dépenses mensuelles en Suisse. Les conditions sur les bourses, on les publie chaque année sur le site de l’ambassade vers fin du mois de juillet, début août. La durée pour postuler s’étend jusqu’en novembre et c’est ouvert à tout le monde. Nous publions nous-mêmes ces conditions tout comme l’on informe les autorités congolaises de cette opportunité.
Chaque Congolais candidat aux études en master, doctorat qui aimerait poursuivre ses études en Suisse est éligible. Il n’existe pas d’obstacle supplémentaire qui peut-être le ministère ou une commission au sein de l’ambassade. Notre devoir, c’est de nous rassurer que les dossiers sont complets et les envoyer en Suisse. La commission qui choisit les candidats réside en Suisse et non à l’ambassade.
Propos recueillis par Giscard Havril Mane