Depuis plus d’un demi-siècle, la République démocratique du Congo vit sous le poids d’un paradoxe cruel : un pays immensément riche, mais durablement appauvri par ceux-là mêmes qui le gouvernent. De Mobutu Sese Seko à Félix Tshisekedi, la corruption, la contrebande et l’enrichissement illicite ont traversé les régimes comme un fil rouge, changeant de visages, mais rarement de logique.
Sous Mobutu, la prédation s’est érigée en système. La « zaïrianisation » n’a pas seulement nationalisé l’économie : elle l’a livrée à une élite prédatrice. Le Trésor public se confondait avec la cassette présidentielle, les ressources minières alimentaient des réseaux personnels, et la contrebande devenait un mode de gouvernance. Le pays s’est vidé pendant que le sommet se garnissait. La corruption n’était pas une dérive : elle était la règle.
La chute du maréchal n’a pas rompu le cycle. Les guerres de la fin des années 1990 ont ouvert une nouvelle ère d’économie de conflit. Sous Laurent-Désiré Kabila, puis Joseph Kabila, l’exploitation illégale des minerais — coltan, or, cassitérite — s’est internationalisée. Des réseaux politico-militaires, nationaux et étrangers, ont prospéré sur la contrebande, tandis que l’État, affaibli, regardait filer ses richesses. Les institutions se consolidaient en façade, mais les pratiques demeuraient : opacité des contrats, impunité des puissants, justice à géométrie variable.
L’alternance de 2019 a suscité un espoir réel. Félix Tshisekedi promettait la rupture, l’État de droit, la fin de l’impunité. Des signaux ont été envoyés : discours volontaristes, procès emblématiques, volonté affichée de moraliser la vie publique. Mais l’espoir se heurte vite à la réalité d’un système résilient. Les scandales se succèdent, les soupçons d’enrichissement illicite persistent, et la contrebande minière continue de saigner l’économie nationale. Trop souvent, la lutte contre la corruption semble sélective, instrumentalisée, ou freinée par des compromis politiques.
Le problème congolais n’est pas l’absence de lois. Elles existent. Ce n’est pas non plus le manque de discours. Ils abondent. Le mal est plus profond : c’est la captation durable de l’État par des intérêts privés, l’érection de l’impunité en culture politique, et la normalisation du détournement comme horizon de réussite sociale.
Tant que la justice ne sera pas réellement indépendante, tant que les circuits de la contrebande ne seront pas démantelés au sommet, tant que la transparence ne deviendra pas une obligation et non un slogan, la RDC restera prisonnière de son histoire. Le peuple congolais n’est pas pauvre : il est appauvri. Et la vraie rupture ne se mesurera pas aux promesses, mais aux comptes rendus.




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