Il y avait Bunagana. Il y a désormais Kiwanja et Rutshuru… Quelques mois seulement après avoir repris les armes, et alors qu’il a lancé une nouvelle offensive le 20 octobre, le M23 a encore gagné du terrain. Défaits militairement en 2013, les rebelles occupent désormais des positions situées à seulement quelques dizaines de kilomètres de Goma, dont ils menacent de s’emparer comme fin 2012.
Fin de mandat mouvementée
Si le chef-lieu du Nord-Kivu a jusque-là été épargné, c’est grâce à la Monusco, selon la représentante spéciale du secrétaire général des Nations unies en RDC. Bintou Keïta ferait-elle preuve d’un excès d’optimisme ? Quoi qu’il en soit, Félix Tshisekedi n’imaginait sans doute pas connaître une fin de mandat aussi mouvementée.
Dans le discours à la nation qu’il a prononcé le 3 novembre, le président congolais a reconnu que la situation était catastrophique dans l’Est. « Au moment où je fais cette adresse, nos agresseurs occupent certaines localités dans le territoire de Rutshuru, occasionnant ainsi un drame humanitaire avec plus de 200 000 compatriotes forcés de fuir les affres terroristes dans les zones de combat. Ils se retrouvent en dehors de chez eux, sans logis, sans nourriture et sans soins. »
Pointant de nouveau un doigt accusateur sur le Rwanda, dont il affirme qu’il est le « parrain du M23 », il a accusé Kigali d’avoir des visées « expansionnistes » et de chercher à s’approprier les minerais congolais « en déstabilisant l’est du pays pour créer une zone de non-droit en vue d’assouvir ses appétits criminels ».
Comme ceux qui l’ont précédé, ce discours s’inscrit dans une rhétorique offensive, Félix Tshisekedi tentant depuis des mois d’obtenir une condamnation du Rwanda sur la scène diplomatique internationale.
Réunion consultative
En parallèle toutefois, la Communauté de l’Afrique de l’Est (EAC) essaye de ramener toutes les parties à la table des négociations. Le 7 novembre, le Burundais Évariste Ndayishimiye, qui exerce la présidence tournante de l’EAC, a réuni plusieurs dirigeants de la sous-région à Charm el-Cheikh, en Égypte, en marge de la COP27. Parmi eux, le Rwandais Paul Kagame, le Kényan William Ruto, la Tanzanienne Samia Suluhu Hassan, ainsi que le Premier ministre congolais et représentant de Félix Tshisekedi, Sama Lukonde Kyenge.
À l’issue de cette réunion consultative, ils ont réaffirmé leur engagement en faveur d’une solution politique, « seule voie durable » pour rétablir la sécurité dans l’Est, et souligné la nécessité de faire en sorte que tous les acteurs de la crise puissent participer au processus politique.
Quelques jours plus tôt, le 4 novembre, Évariste Ndayishimiye et l’ex-président kényan Uhuru Kenyatta, qui fait désormais office de facilitateur, avaient annoncé la reprise prochaine du dialogue de Nairobi, qui réunit depuis le mois d’avril des représentants des autorités congolaises et de nombreux groupes armés écumant l’est du pays.
Jusqu’à présent, seul le M23 a été tenu à l’écart du processus, Kinshasa considérant le mouvement comme terroriste. Mais, depuis avril, les rebelles ont marqué des points sur le terrain militaire face aux Forces armées de RDC (FARDC), lesquelles se sont retirées des zones désormais controlées par le M23 dans le « souci de protéger les populations civiles ».
Compte tenu de la situation sur le terrain, « que vaudrait un dialogue sans le M23 ? », s’interroge un expert congolais des questions militaires, qui questionne par ailleurs la sincérité de l’engagement des groupes armés représentés à Nairobi.
La position du M23 n’a en tout cas pas varié. Les rebelles veulent parler directement au gouvernement. Le mouvement insiste d’ailleurs sur le fait qu’il n’a « jamais quitté les discussions ». « C’est le gouvernement congolais qui a fermé la porte, affirme Bertrand Bisimwa, l’un des responsables du M23. Nous, nous réclamons ce dialogue depuis toujours. »
Des conditions irréalistes ?
Est-ce à dire que la balle est dans le camp des autorités congolaises ? « Il n’y a pas de pression pour réadmettre le M23 à la table des négociations, surtout dans le contexte actuel, assure un collaborateur de Félix Tshisekedi. Cela serait d’ailleurs contradictoire par rapport aux conclusions du dernier conclave des chefs d’État de l’EAC, qui exigeait un cessez-le-feu sans conditions préalables. »
En conférence de presse, le porte-parole du gouvernement, Patrick Muyaya, n’a pas exclu de négocier avec le M23, mais uniquement dans le cadre du processus de Nairobi, qui doit reprendre le 16 novembre, et à la condition expresse que les rebelles quittent les positions qu’ils occupent. Le ministre de la Communication lui-même l’a admis : « On nous force la main pour négocier avec des groupes terroristes. »
Des exigences que plusieurs experts jugent « irréalistes ». « De toute façon, c’est le rapport de force sur le terrain qui dictera les termes du jeu et décidera de la présence des uns et des autres à la table des négociations », assure à Jeune Afrique une source sécuritaire.
Selon nos informations, Félix Tshisekedi a envisagé ces derniers jours de mettre en place une équipe composée de responsables des services de sécurité et de certaines personnalités politiques pour entreprendre des discussions avec le M23 – avant de se raviser. Cette information a été confirmée à Jeune Afrique par un membre du gouvernement, qui a insisté sur son caractère sensible. « Même si l’on doit discuter avec eux, cela ne doit jamais être rendu public. » « Les autorités nous qualifient publiquement de terroristes mais, en coulisses, elles nous envoient des émissaires, commente Bertrand Bisimwa. Le problème, c’est que Kinshasa a dit au peuple congolais qu’il ne négocierait pas avec nous. Des discussions ouvertes sont donc difficiles à assumer. »
La marge de manœuvre de la RDC apparaît donc serrée. D’autant que, tandis que les FARDC bombardaient les positions du M23, l’Assemblée nationale votait, le 7 novembre, une résolution recommandant au gouvernement de ne pas accepter que des éléments issus des groupes rebelles puissent intégrer l’armée, la police ou les services de sécurité.
Stanis Bujakera, Jeune Afrique