Dans une société où l’opinion publique exige parfois une justice expéditive, le rôle de l’avocat apparaît de plus en plus comme un rempart essentiel contre l’arbitraire. En République Démocratique du Congo, défendre une cause sensible dite « impopulaire » qu’il s’agisse d’un présumé Kuluna, d’un militant politique controversé ou d’un accusé de crimes graves relève d’un acte de foi dans l’État de droit. Une mission que Maître Patrick Nsasa, avocat et défenseur des droits de l’homme, assume avec fermeté et conviction.
Dans une tribune parvenue ce mercredi à Infos.cd, l’avocat rappelle que « défendre un accusé n’est pas défendre un crime ». Cette distinction, souvent mal comprise par l’opinion, est pourtant le fondement même de la justice. À l’heure où l’émotion populaire tend à devenir un verdict, l’avocat rappelle que toute personne, quelle que soit sa réputation, a droit à un procès équitable, à la présomption d’innocence, et à l’assistance d’un défenseur.
La Constitution congolaise, à son article 19, est claire : « Toute personne a le droit de se faire assister par un défenseur de son choix à tous les niveaux de la procédure. » Ce principe, consacré également par les conventions internationales ratifiées par la RDC, est mis à rude épreuve dans un contexte national marqué par les frustrations sécuritaires et sociales.
Dans les quartiers populaires de Kinshasa, les jeunes dits « Kuluna », associés à des actes de violence urbaine, sont souvent arrêtés sans mandat, jugés sans procès ou envoyés dans des centres de détention extrajudiciaires. Pourtant, souligne Me Nsasa, « En défendant un Kuluna, il ne défend pas ses actes, mais son droit à être traité comme un être humain et à bénéficier des garanties légales ».
Il cite des cas de détention prolongée sans jugement, parfois pendant des années, dans des centres comme Kanyama Kasese. Des violations flagrantes du droit international.
« Beaucoup de ces jeunes étaient arrêtés sans mandat, détenus sans procès, ou envoyés dans des centres comme Angenga ou Buluwo, aujourd’hui à kanyama Kasese parfois pendant plusieurs années sans jugement, ce qui constitue une violation flagrante de l’article 9 du PIDCP sur la liberté et la sécurité de la personne », dénonce-t-il.
L’avocat, pilier de la démocratie et protecteur des libertés
Au-delà du prétoire, l’avocat est appelé à jouer un rôle pédagogique. Il doit expliquer, souvent contre vents et marées, qu’un État de droit se mesure à sa capacité de garantir les droits des plus détestés, pas seulement ceux des plus sympathiques. Comme le souligne la Déclaration de l’ONU sur les défenseurs des droits de l’homme (1998), les avocats sont en première ligne dans la dénonciation des abus, la défense des libertés fondamentales, et la lutte contre l’impunité.
« Les avocats doivent pouvoir s’acquitter de leurs fonctions professionnelles sans être soumis à des intimidations, entraves, harcèlements ou ingérences indues », souligne Me Nsasa.
Depuis juin 2023, la RDC dispose d’un nouvel outil juridique avec la Loi n°23/027 sur la protection des défenseurs des droits humains. Elle reconnaît explicitement le rôle de l’avocat comme acteur de la défense des droits, surtout lorsqu’il agit dans des dossiers sensibles. Mais entre théorie et pratique, le fossé reste grand. Les menaces, les pressions et les stigmatisations demeurent monnaie courante pour ceux qui osent défendre l’impopulaire.
La tribune de Me Nsasa sonne comme un rappel à l’ordre sans défense, il n’y a pas de procès équitable. Sans avocat, il n’y a pas de contrepoids à l’arbitraire. Et sans justice impartiale, il n’y a pas de démocratie.
« Le jour où certains ne pourront plus être défendus, ni par honte, ni par peur, ni par haine, ce sera la fin de l’égalité devant la loi », a-t-il insisté.
À travers son engagement, Me Nsasa incarne une vision exigeante mais indispensable du métier d’avocat : celle d’un professionnel au service non d’une émotion, mais d’un idéal celui d’une justice pour tous, y compris pour les indéfendables.
Yvette Ditshima