Excellence Madame la Ministre d’Etat ;
Depuis plusieurs mois, je vous suis attentivement, et j’observe patriotiquement votre combat diplomatique pour la défense des intérêts de notre grand et beau pays, la République Démocratique du Congo.
Votre détermination et votre professionnalisme ont suscité en moi une grande estime en votre personne. Et justement, l’admiration que j’ai pour votre travail, me contraint, par devoir républicain, à vous écrire aujourd’hui cette lettre ouverte, qui résume quelques unes de mes préoccupations par rapport à l’Accord de paix que vous avez signé à Washington le 27 juin 2025, au nom de la République Démocratique du Congo, avec votre homologue rwandais.
Si je vous écris aujourd’hui, ce vendredi 4 juillet 2025, c’est-à-dire une semaine après cette signature, pendant que beaucoup de compatriotes, acteurs politiques et acteurs de la société civile, ont déjà réagi promptement à chaud, c’est tout simplement par respect à une sagesse ancestrale africaine : « On n’apporte pas de mauvaises nouvelles aux gens qui sont dans une fête ». !
En effet, j’ai constaté que la signature de cet Accord de paix a suscité une grande euphorie auprès de nos compatriotes en général, et surtout auprès de nos autorités dirigeantes. Je demeure convaincu qu’une semaine après, la musique s’est arrêtée, les effets de l’alcool s’évaporent, les esprits se calment et la lucidité émerge.
Nous pouvons donc prendre le temps maintenant de réfléchir froidement et rationnellement au contenu de cet Accord de paix, qualifié d’historique par certains de nos concitoyens !
Je voudrais aussi, Madame la Ministre d’Etat, avant de développer mon raisonnement, faire deux observations en liminaire.
Primo: Je souhaite sincèrement me tromper dans mon analyse sur cet Accord qui se veut être, selon vos propres commentaires, le début d’une nouvelle ère de paix et de prospérité pour notre pays. Mais par honnêteté intellectuelle et conscience patriotique, je me dois absolument vous faire part de mes inquiétudes réelles que je considère fondées !
Secundo: L’analyse et l’examen critiques de cet Accord de paix n’affecte en rien l’admiration personnelle que j’ai à l’égard de votre personne.
Ceci étant compris, je passe maintenant au vif du sujet.
1e Constat malheureux : Le bradage de la résolution 2773 du Conseil de Sécurité de l’ONU
Excellence Madame la Ministre d’Etat, il vous souviendra, qu’en date du 21 février 2025, vous avez obtenu, grâce à un travail diplomatique acharné et efficace, l’adoption à l’unanimité des Membres du Conseil de Sécurité de l’ONU, la résolution 2773 qui dispose clairement en son point 4, je cite:
« Demande à la Force de Défense rwandaise de cesser de soutenir le M23 et de se retirer immédiatement du territoire de la République Démocratique du Congo, sans conditions préalables. »
Excellence Madame la Ministre d’Etat, je me fais le devoir de vous rappeler que les cinq Membres permanents du Conseil de Sécurité (Etats-Unis, Russie, Chine, France, Grande-Bretagne) ont adopté à l’unanimité et sans reserve, cette résolution très positive concernant la crise en République Démocratique du Congo, et , qu’après cette grande victoire de la bataille diplomatique à New-York, j’étais convaincu, sincèrement, que le seul objectif, et la seule mission à accomplir par vous, était d’obtenir l’application de cette résolution.
Car de mon point de vue, la cessation du soutien au M23 par le RDF et le retrait immédiat du territoire de la RDC des Forces armées rwandaises constituent l’une des conditions majeures du retour à la Paix à l’Est de notre Pays; les autres conditions étant l’aboutissement heureux du processus de Doha entre le gouvernement et l’AFC-M23, la consolidation de la cohésion nationale et la restauration de l’autorité de l’État sur l’ensemble du territoire national.
Et quand je vous voyais, vous déployer à gauche et à droite, je pensais honnêtement que c’était le mobile de tous vos déplacements et efforts diplomatiques !
Hèlas, au lendemain de la Signature de l’Accord de paix de Washington avec votre collègue du Rwanda, quelle n’a pas été ma désagréable surprise de découvrir qu’au lieu d’obtenir l’application de la résolution 2773 du Conseil de Sécurité, vous êtes allé engager la République, paradoxalement, dans un Accord qui conditionne maintenant le retrait des Forces de Défense Rwandaise du territoire national à la lutte et à la neutralisation des FDLR par la RDC. Donc selon l’Accord de Washington, le retrait des troupes rwandaises n’est plus impératif au regard de la résolution ci-haut évoquée, mais devient conditionnel.
Pouvez-vous m’expliquer ce revirement de votre ligne diplomatique ? Revirement qui nous fait perdre, à mon humble avis, tous les bénéfices de la Résolution 2773.
Au lieu d’exiger et obtenir l’application pure et simple de cette Résolution 2773, vous vous engagez, au nom de la République, à signer un Accord qui se contente de déclarer vaguement :
« Les parties s’engagent à faire progresser la mise en œuvre de la résolution 2773 (2025) du Conseil de Sécurité des Nations-Unies et des autres résolutions pertinentes du Conseil de Sécurité des Nations–Unies. »
Ce qui constitue, de mon analyse, un bradage pur et simple et une banalisation de la résolution 2773 que la RDC avez eu tant de mal à faire adopter.
2e Constat malheureux: Le retrait conditionnel de l’armée rwandaise
Excellence Madame la Ministre d’Etat, en lisant attentivement les dispositions de l’Accord de paix que vous venez de signer, il apparaît clairement qu’une corrélation directe est établie entre la neutralisation des FDLR et le retrait des troupes rwandaises du territoire national. En effet, le premier point de votre Accord nous apprend que vous vous êtes convenus avec les autorités rwandaises de ce qui suit :
« De mettre en œuvre le Plan harmonisé de neutralisation des FDLR et désengagement des Forces/levée des mesures défensives du Rwanda. »
Et lorsqu’on examine le Plan harmonisé en question, adopté à Luanda le 31 octobre 2024, le lien entre les deux processus, neutralisation des FDLR et retrait des troupes rwandaises, est plus explicite.
En effet, le point 8 du Plan harmonisé de Luanda établit ce qui suit que :
« Les FARDC doivent neutraliser les FDLR tandis que les RDF (l’armée rwandaise) doit désengager les Forces/Levée des mesures défensives du Rwanda en 4 phases. »
Et les 4 phases, décrites dans ce plan harmonisé, décrivent le déroulement de ces deux processus, neutralisation des FDLR et retrait des troupes rwandaises de la RDC, sur une période de 90 jours.
Excellence Madame la Ministre d’Etat, j’ai trois questions à vous poser à ce sujet.
1° Avez-vous conscience que les FDLR sont une nébuleuse et que s’engager à les combattre, exigerait certainement beaucoup de temps qu’il n’en faut à l’armée rwandaise pour se retirer du Congo ?
2° Pourquoi avez-vous accepté d’intégrer le Plan harmonisé de Luanda du 31 octobre 2024 dans l’Accord de paix de Washington alors qu’il est établit clairement que celui-ci vient annuler tous les avantages que la RDC a recoltés dans la Résolution 2773 du Conseil de Sécurité adopté le 21 mai 2025 ; Résolution qui exige le retrait immédiat et sans conditions de l’armée rwandaise du Congo ?
3° Dois-je comprendre que, selon le plan harmonisé de Luanda, qui est désormais annexé à l’Accord de Washington, tant que les FARDC n’auront pas totalement neutralisé les FDLR, les troupes rwandaises resteront sur le territoire congolais ?
3è Constat malheureux: La légitimation de la thèse rwandaise
Les autorités rwandaises ont toujours défendu la thèse selon laquelle les FDLR (Forces Démocratiques pour la Libération du Rwanda), une métastase des forces génocidaires rwandaises de 1994, seraient installées en RDC et collaboreraient avec les FARDC. C’est pour cette raison que les troupes rwandaises font des incursions sur notre territoire national pour neutraliser cette menace. Et notre gouvernement a toujours nié tout soutien ou toute collaboration sous quelques formes que ce soient avec les FDLR.
Mais en lisant attentivement l’Accord de Washington, je suis étonné de découvrir au chapitre 3 qui parle du mécanisme conjoint de coordination de la sécurité que vous avez adopté le principe suivant :
« La fin irréversible et vérifiable du soutien de l’Etat aux FDLR et aux groupes armés associés ».
Je pense bien que l’Etat dont on parle ici est l’Etat congolais. En adoptant ce principe qui est inclus dans l’Accord de Washington, la RDC ne vient-elle pas de légitimer la thèse rwandaise en avouant publiquement que désormais elle va cesser de soutenir de manière irréversible et vérifiable les FDLR ? Madame la Ministre, j’ai besoin de votre réponse à cette question pour être rassuré.
4è Constat: L’engagement américain.
Au point 7.III. Il est écrit : « Précisions : Le présent Accord ne crée aucune obligation pour les Etats non Parties siégeant au Comité de surveillance conjointe. »
En lisant le chapitre 7 de l’Accord, on sait que le Comité de surveillance conjointe est composé de 5 membres suivants :
1. La RDC
2. Le Rwanda
3. Le Facilitateur de l’Union Africaine
4. Le Qatar
5. Les Etats-Unis
En relisant la « précision » ci-dessus on comprend que l’Accord ne crée aucune obligation pour le Qatar et les Etats-Unis, Etats non parties siégeant au Comité de surveillance conjointe.
Ma question est la suivante, Excellence Madame la Ministre d’Etat; par cette disposition, les Etats-Unis déclarent qu’ils n’ont aucune obligation dans cet Accord.
Comme parrain de l’Accord, n’ont-ils même pas l’obligation morale de veiller à l’application de bonne foi des dispositions de l’Accord par la RDC et le Rwanda ?
En conclusion, Excellence Madame la Ministre d’Etat, je considère que cet Accord de Washington n’est pas bénéfique pour la RDC, pour des raisons évidentes suivantes :
– il constitue un recul par rapport à la résolution 2773 du Conseil de Sécurité ;
– il rend complexe le retrait des troupes rwandaises ;
– il valide la thèse rwandaise du soutien du gouvernement congolais aux FDLR.
J’ose espérer que vos réponses vont me démontrer le contraire.
Voilà, Excellence Madame la Ministre d’Etat, les quelques préoccupations, parmi tant d’autres, que j’avais à propos de l’Accord de paix de Washington. Je m’excuse par avance d’avoir abusé de votre précieux temps. Mais comptant sur votre esprit républicain, j’espère que vous rencontrerez mes préoccupations. Ce qui me permettra, Excellence Madame le Ministre d’Etat, d’apaiser mes inquiétudes sur la situation sécuritaire à l’Est de la République, de nourrir de l’espérance pour mes frères et sœurs du Nord et Sud Kivu et, enfin, de vaquer, l’esprit tranquille, à mes occupations.
Veuillez agréer, Excellence Madame la Ministre d’Etat, mes salutations patriotiques.
Thomas LUHAKA LOSENDJOLA
Avocat