La commune de Kintambo, au Centre-Ouest de la ville de Kinshasa, possède l’une des plus grandes maternités de la capitale de la République démocratique du Congo. Mais depuis quelques années, les conditions d’accouchement dans cette formation sanitaire sont plus que dramatiques. Retour sur nos deux journées d’immersion dans ce lieu devenu chemin de la croix pour celles qui viennent pour donner la vie.
Sylvie (nom d’emprunt), que l’on croise sous un arbre de la cour de la maternité, coiffure négligée, pagne à l’effigie d’une marque de boisson assorti d’un singlet qui s’agrippe à peine sur ses épaules, est partagée entre la joie de devenir mère pour la deuxième fois et la mésaventure qu’elle a connue. Cette femme d’une trentaine d’années qui a accouché, deux jours avant, d’un adorable petit garçon par césarienne, nous fait une confidence glaçante.

« Quand on m’opérait, j’ai entendu un médecin demander à ses collègues pourquoi j’étais passée par la césarienne alors que je n’avais aucun problème pour accoucher par la voie basse. L’un d’eux répliquera : » Tu ne sais pas que c’est comme ça que les choses se passent ici pour se faire un peu de l’argent ? » ».
Toutefois, Sylvie encaisse le coup et n’envisage pas de porter plainte.
« Que faire ? Les choses se passent seulement comme cela ici. Psychologiquement, j’ai eu peur. Les sages-femmes et les gynécologues nous rendent parfois un mauvais service. Ils commercialisent l’accouchement. C’est bien triste », indique celle qui dit avoir mis normalement au monde sa première fille qui a aujourd’hui trois ans et avec qui elle échange sous cet arbitre qui fait office de lieu d’attente.
Discrètement, nous nous sommes, par après, introduit dans cette maternité qui enregistre une moyenne de cinq à sept nouveau-nés par jour, selon des informations d’une sage-femme de cette formation qui a requis l’anonymat.
A la maternité de Kintambo, tout le monde ou presque a fini par comprendre que la majorité des accouchements par césarienne est « fabriquée » pour des besoins d’argent. Une intervention par césarienne coûte au moins 300 dollars américains. Beaucoup plus pour des cas compliqués ou en fonction de l’heure de l’intervention. Or, accoucher par voie basse, c’est cinq fois moins cher. Ici, le cynisme du corps médical dans la fabrication des cas de césarienne est érigé en système.
« Marché des césariennes »
« Presque chaque jour, la moitié des accouchements se passe par césarienne, suite aux complications causées forcément par les sages-femmes, nous souffle, épuisée, Sylvie. C’est le marché des césariennes que tu le veuilles ou non. C’est ce qui génère plus d’argent ».
Entre 70 et 90 femmes sont en permanence hospitalisées dans cette maternité qui compte actuellement 114 lits et 6 pavillons.
Si la douleur de l’enfantement est naturelle, celle d’accoucher ici est un chemin de la croix pour celles qui viennent pour donner la vie.
L’argent ou rien
Tout commence à l’accueil. Toute prise en charge est conditionnée par l’argent. Urgence ou pas, il faut d’abord passer à la caisse.
« On ne te touche pas sans l’argent même quand c’est grave. D’ailleurs, hormis la facture, pour les cas de césarienne, il faut d’abord payer une somme de 150 dollars juste pour qu’on te touche. La facture proprement dite suivra après », a confié à côté de Sylvie, Christelle, qui a aussi subi une césarienne sur recommandation de la maternité des sœurs religieuses de Binza Delvaux qui l’ont transférée.
Très ouverte, notre interlocutrice spontanée qui a déjà passé plusieurs jours ici nous raconte le cas d’une jeune fille qui a fait des jumeaux par césarienne.
« Quand je suis arrivée, j’ai trouvé une jeune fille qui peut avoir autour de 25 ans. Son mari était parti chercher de l’argent. Il a appelé pour dire qu’il venait déjà avec l’argent. Mais, des médecins n’ont pas voulu intervenir tant que le mari ne s’était pas signalé à la caisse. Ils ont dû attendre jusqu’à ce qu’il ait débarqué plus de deux heures après mon arrivée pour commencer à préparer la jeune fille à la chirurgie », raconte-t-elle.
Nombreuses sont ces femmes qui, faute d’argent, se doivent de supporter la douleur d’enfantement sans la moindre assistance médicale.
« Pharma-poche »
Payer sa caution est loin d’être un soulagement. Cet argent payé avant l’intervention ne donne aucun droit aux médicaments de premier soin. Il faut alors acheter encore des produits à la pharmacie. Celle de la maternité, avons-nous constaté, ne ressemble plus à rien et manque des médicaments essentiels.
En cas d’urgence, le seul secours demeure les pharmacies environnantes qui se comptent par dizaine, la zone abritant également l’Hôpital général de référence de Kintambo.
La maternité de Kintambo ne dispose pas d’une banque de sang.
« Elle fait recours à la banque de sang de l’Hôpital général de référence de Kintambo en face. Soit à celle du Centre national de transfusion sanguine de Bandalungwa, la commune voisine », nous confirme un médecin de l’hôpital général de Kintambo.
Le sang est essentiel pour prévenir des cas fréquents d’anémie lors des accouchements. En RDC, les hémorragies constituent la première cause des décès chez les femmes enceintes.
« J’ai connu des complications, notamment l’hémorragie. C’était tout juste après l’opération. A la maternité, il n’y avait plus de sang. Mon mari a dû braver la nuit, avec toute l’insécurité qu’il y a à Kinshasa, pour aller chercher du sang ailleurs », témoigne Sarah, la trentaine.
Un autre phénomène prend racine dans cette maternité : « Pharma-poche ». Ce concept fait allusion aux poches des infirmiers et autres sages-femmes devenues des véritables pharmacies ambulantes, surtout dans des heures tardives. Ces prestataires marchandent, selon des témoignages reçus, des médicaments et autres produits médicaux comme les seringues, le double ou le triple du prix normal.
« Ils savent que tard la nuit, il est difficile de trouver des pharmacies ouvertes, alors ils deviennent eux-mêmes des pharmaciens », raconte une internaute qui a alerté la rédaction d’INFOS.CD sur ce phénomène qu’elle a vécu alors qu’elle faisait la garde de sa sœur.
Mais où est-ce que ces infirmiers et sages-femmes s’approvisionnent ? « Auprès des mêmes patientes. Je peux même dire qu’ils volent des produits aux malades grâce à plusieurs techniques notamment le fait de prescrire cinq seringues alors qu’en réalité, on ne va utiliser qu’un seul. Les quatre autres sont gardés pour la revente le soir parfois même auprès de la patiente victime du vol ».

A la maternité de Kintambo, un autre constat laisse à désirer : l’état de leur plateau technique.
« Leurs matériels, même dans la salle d’opération, datent sûrement des années 90 », estime Sylvie.
Le pavillon réservé aux accouchées par césarienne, où nous avons pu nous introduire, accueille une vingtaine de femmes avec leurs nouveau-nés. Par pavillon, il y a une douche et une toilette en très mauvais état. La plupart des internées préfèrent se laver à l’air libre dans les heures tardives que de supporter la « crasse » dans les installations quasi-abandonnées.

A côté de cela, des fosses septiques bouchées dégagent une odeur étouffante que l’on soit à la cour de la maternité ou dans les chambres.
« Nous vivons un véritable enfer », fustige une patiente.
Au fil des années, cette maternité publique a perdu ses lettres de noblesse suite à tous ces problèmes.
« A notre époque, la maternité de Kintambo était une structure très appréciée avec celle des sœurs religieuses de Binza Delvaux. Six de mes sept enfants sont nés à Kintambo », a confié, nostalgique, une dame, la soixantaine, croisée dans un arrêt de bus aux encablures de la maternité.
Nos efforts pour aborder les gestionnaires de cette maternité sur cette situation ont été vains. L’administration de l’hôpital a été particulièrement repoussante.
En République Démocratique du Congo (RDC), au moins 4 femmes meurent chaque heure de suite de complications d’une grossesse ou de l’accouchement, et 23 nouveau-nés meurent par jour à la suite de complications de la naissance.
La prise en charge déficitaire des femmes au moment de l’accouchement comme à Kintambo et dans nombreuses autres maternités contribue à l’un des taux les plus élevés au monde de mortalité maternelle (864 décès sur 100 000 naissances vivantes selon l’EDS 2013-2014).
Déjà, le pays fait face à une pénurie de sages-femmes. Les normes de l’organisation mondiale de la santé (OMS) recommandent une sage-femme pour une population de 5 000 habitants. Mais en RDC, l’on est plutôt à une moyenne d’une sage-femme pour une population de 16 000 habitants. Un déficit qui reste à combler en plus du besoin d’une meilleure formation de ces prestataires.
Dans le cadre de l’un de ses trois résultats transformateurs (Zéro décès maternel évitable), le Fonds des Nations-Unies pour la population (UNFPA) essaie d’accompagner l’État congolais pour des accouchements sûrs et sécurisés à travers notamment l’offre de soins obstétricaux et néonatals d’urgence (SONU), des services de la planification familiale, des accouchements assistés par un personnel qualifié, et un système de surveillance des décès maternels et de riposte.
En plus de la formation, la réhabilitation et l’équipement des maternités et des blocs opératoires sont des éléments essentiels pour l’amélioration de la prise en charge obstétricale.
Yvette Ditshima