Un jour après sa rencontre avec Paul Kagame à Doha (Qatar), sous la médiation de l’émir, Félix Tshisekedi a donné une interview au média français Le Figaro. A lire ici l’intégralité :
LE FIGARO – Vous venez de rencontrer Paul Kagame, le président rwandais, à Doha dans une réunion tripartite avec l’émir du Qatar. Qu’en retirez-vous ?
FÉLIX TSHISEKEDI – La réunion s’est déroulée dans une ambiance conviviale. Le travail avait été effectué en amont par les émissaires qatariens. J’avais rencontré l’un d’eux mi-février, en marge de la conférence de Munich sur la sécurité. La suite reste à déterminer, car le préalable à tout cela était le cessez-le-feu immédiat et inconditionnel. Les discussions doivent se poursuivre pour un règlement durable.
Une médiation entre la RDC et le M23, groupe soutenu par le régime rwandais, qui occupe une partie de l’est de votre pays, a effectivement échoué mardi en Angola. Comment expliquez-vous le refus du M23 d’y participer ?
Ce refus du M23 confirme aux yeux de l’opinion publique tant nationale qu’internationale que ces violents activistes sont des pantins qui attendent de recevoir des ordres pour agir. Ils sont hostiles à la paix et motivés par une soif d’enrichissement personnel, qu’ils assouvissent dans chaque localité qu’ils occupent. Dans ces conditions, je ne vois pas comment on peut construire quelque chose de solide et de véritable avec ces inféodés. Il valait donc mieux discuter avec leur mentor. La recherche d’une solution définitive à la crise congolaise est guidée par les processus de dialogue de Luanda et de Nairobi, initiés par l’Union africaine, ainsi que par les organisations régionales soutenues par les Nations unies. La résolution 2773, votée à l’unanimité par le Conseil de sécurité de l’ONU, fin février, exige le retrait immédiat des troupes rwandaises du territoire congolais et la fin du soutien militaire rwandais au M23. Elle exhorte le groupe à caractère terroriste à cesser les hostilités et à se retirer des zones sous son contrôle.
Le M23 prétend que ce sont les institutions internationales qui « sabotent la paix » et qui vous renforcent dans votre « politique belliciste » …
Ce conflit, nous le traînons depuis le génocide de 1994. Le régime rwandais a, d’abord, voulu poursuivre les responsables hutus du génocide dans une véritable chasse à l’homme, puis il vient aujourd’hui piller nos minerais critiques. Cela a eu pour conséquence la déstabilisation de la région depuis trente ans. Dans cinquante ans, la région des Grands Lacs comptera 1 milliard d’âmes. Si nous ne vivons pas en paix, et j’appelle à une paix définitive, je vous laisse imaginer la catastrophe. Je redoute de nouveaux massacres, si rien n’est fait.
Les récentes sanctions prises par l’Union européenne contre le M23 et le Rwanda servent-elles votre cause ou sont-elles contre-productives, comme le disent certains ?
La communauté internationale se sentait responsable de ce drame et fermait les yeux sur les crimes commis en RDC. J’en veux pour preuve le rapport « Mapping » de 1993 à 2003 sur les exactions commises dans notre pays durant cette période, qui a été rangé dans les tiroirs des Nations unies. Comment peut-on accepter que certains achètent les matières stratégiques que le Rwanda vient piller chez nous, au prix du sang ? C’est pour cela que je salue la décision de l’Union européenne de prendre des sanctions contre des militaires rwandais et des cadres du mouvement violent M23. Ces mesures viennent s’ajouter à celles prises par d’autres pays partenaires comme la Grande-Bretagne, le Canada et les États-Unis. Elles confirment qu’indubitablement l’agresseur de la RDC s’appelle le Rwanda.
Emmanuel Macron vous soutient-il alors que vos relations étaient plutôt fraîches il y a quelques années ?
Oui, je l’ai eu au téléphone régulièrement ces derniers temps. Malgré son engagement sur le dossier ukrainien, il se dit toujours aux côtés du peuple congolais pour chercher la paix.
Faites-vous un lien entre l’offensive rwandaise lancée en ce début d’année et l’arrivée de Donald Trump au pouvoir ?
Peut-être était-ce effectivement pour le pouvoir rwandais l’occasion de mettre le président américain devant le fait accompli… Comme les Russes en Ukraine, il est possible que les Rwandais aient voulu pousser leur avantage sur le terrain pour être en position de force si Donald Trump, épris de paix, décidait de s’impliquer dans ce dossier.
Voyez-vous d’un bon œil la nomination de Massad Boulos, le beau-père de la fille de Trump, comme envoyé spécial dans la région des Grands Lacs ? Pourriez-vous passer des accords avec les États-Unis, dont vous avez reçu un membre du Congrès dimanche dernier, pour l’exploitation de vos minerais ?
Je ne peux pas juger Massad Boulos car je ne le connais pas. Pour ce qui est des minerais, nous avons commencé à discuter de partenariats stratégiques avec les États-Unis dès mon arrivée au pouvoir, en 2019, lors du premier mandat de Trump, mais la crise sanitaire a interrompu les discussions. Celles-ci ont continué avec l’Administration Biden et, depuis que Donald Trump est revenu, elles reprennent de plus belle.
Plutôt que d’acheter les produits volés chez nous à d’autres, il faut investir chez nous
Ce que je veux absolument éviter, c’est un bradage, ou des accords à la va-vite pour, comme je l’ai entendu, sauver le régime. Le but est d’obtenir un partenariat gagnant-gagnant, qui permettra à la RDC de transformer ses minerais localement, de créer de la valeur ajoutée, de constituer une chaîne de valeurs. Dans la mesure du possible, la transformation des matières premières devra se faire ici avec des investisseurs qui participent à la construction d’infrastructures énergétiques qui manquent à la RDC. Plutôt que d’acheter les produits volés chez nous à d’autres, il faut investir chez nous. Nous le faisons avec la Chine.
Êtes-vous déterminé à désarmer, de votre côté, les groupes armés comme le FDLR, constitué d’anciens génocidaires ?
Mais bien sûr : désarmement, démobilisation et réinsertion. C’est ce que prévoit le processus de Nairobi avec l’éradication de tous les groupes armés, locaux ou étrangers, opérant dans l’est de la RDC. Le FDLR est aujourd’hui une force résiduelle qui ne compte pas plus de 750 activistes et très peu d’anciens génocidaires. Le FDLR ne pèse rien par rapport au M23.
Pour garantir la paix, il faut aussi réformer l’armée de la RDC, réputée corrompue, mal payée, mal dirigée et sous-équipée…
Le vrai problème, c’est qu’elle n’est pas uniforme. Elle est hétéroclite, formée de l’intégration, par petits morceaux, de groupes armés ou de miliciens. C’est un fourre-tout qu’il faut maintenant transformer en un seul corps, avec un seul état esprit. La réformer, c’est le prix à payer pour la paix et la sécurité. Dans ce but, j’ai rééquilibré certains contrats avec nos partenaires chinois qui exploitent nos richesses. Notre armée compte environ 100.000 soldats. La solde, qui était de 100 dollars par mois, a été relevée. Un militaire au front touche en moyenne 500 dollars.
La RDC est un pays agressé, comme l’Ukraine
Quelles sont vos relations avec Poutine ?
Elles sont correctes. Nous ne sommes pas en froid alors que nous avions condamné l’agression de l’Ukraine, en son temps, aux Nations unies. La RDC est un pays agressé, comme l’Ukraine.
Redoutez-vous une balkanisation de la RDC, grande comme quatre fois la France, ou que l’est du pays fasse sécession ?
Non, car j’ai toujours cru en la volonté du peuple congolais de vouloir un Congo uni et indivisible. Je vous promets que ça n’arrivera pas, en tout cas pas de mon vivant.
Avec Le Figaro