Déclaré pourtant non aedificandi, cet espace au bord du fleuve Congo ne cesse d’accueillir des constructions sans que l’on sache qui délivre des titres et permis de construire. La démolition de ces bâtisses, annoncée par l’autorité urbaine, peine à se concrétiser. Reportage.
En empruntant l’avenue de l’Avenir, dans la commune de Ngaliema, deux hôtels de luxe flambant neufs vous accueillent, dressés comme des sentinelles d’un quartier en pleine mutation.
Puis, au fil des pas, d’imposantes bâtisses poussent de terre comme des champignons. Certains sont achevés, d’autres encore en chantier. Toute une nouvelle cité prend forme, mais au mauvais endroit. Mais notre présence attire la curiosité des trois éléments de la garde républicaine commis à la surveillance du site. Ils nous interdisent de prendre des photos, soulignant que c’est une frontière. Une frontière qui accueille curieusement des habitations.
Bienvenue à la baie de Ngaliema. Cet espace pourtant déclaré non aedificandi depuis l’époque coloniale, a perdu son paysage naturel d’une verdure caressant le majestueux fleuve Congo.
Ici, règne désormais la rigidité du béton. Des immeubles entassés, construits directement dans le lit du fleuve.
Le 22 avril, l’Hôtel de ville de Kinshasa avait pourtant annoncé la démolition de ces constructions dans un délai de 48 heures, soulignant le danger qu’elles représentent pour l’usine de captage de la Regideso non loin de là et la sécurité, notamment après la série d’inondations récentes qui ont endeuillé la capitale. Un mois après, la menace est restée lettre morte. L’autorité urbaine a agi avec fermeté non loin de là, le long de la rivière Mampenza, démolissant des habitations situées à moins de dix mètres du lit mineur de la rivière. Elle a aussi agi sur l’avenue de l’UA, dans une concession qui appartiendrait à l’Office nationale des transports (Onatra).
Mais pourquoi elle traine le pas à la baie de Ngaliema? Le 26 mai, le gouverneur Daniel Bumba a expliqué sur les ondes de Top Congo qu’un travail de délimitation était en cours. Autrement dit, ce n’est pas toute la baie de Ngaliema qui sera débarrassée des bâtiments. Ce 27 mai, le ministre de l’Intérieur, Jacquemain Shabani, accompagné de ses collègues des Affaires foncières, Acacias Bandubola, et de l’Urbanisme et Habitat, Crispin Mbadu, ont fait le tour du site, promettant de démolir jusqu’à 100 mètres de la berge.
Sur place, ils ont notamment trouvé un mur en béton, construit par un officier de l’armée, empêchant à l’usine de la Regideso de bien capter l’eau qui dessert plus de 2 millions d’habitants.
« Tous ces immeubles appartiennent à des politiciens et des militaires hauts gradés », soupire un maçon trouvé dans un des chantiers à la baie de Ngaliema.
Par ailleurs, un ingénieur, sous couvert d’anonymat, essaie de prendre la défense de son patron :
« Démolir ? Je n’y crois pas. Le gouverneur veut juste saboter le mandat du président Tshisekedi ».
Ce n’est pas la première fois qu’une menace de démolition est brandie contre les occupants de cet espace. En 2022, l’ancien gouverneur Gentiny Ngobila avait déjà suspendu les travaux sur le site. Il avait exigé un recensement des occupants et mis en place une commission interinstitutionnelle pour vérifier la légalité des constructions et la validité des titres fonciers.
Mais entre les annonces officielles et la réalité du terrain, la baie de Ngaliema continue de se transformer. Des « gros poissons » semblent plus puissants que l’autorité urbaine qui essaie désespérément de les pêcher.
Yvettes Ditshima