« Le devoir de mémoire signifie l’obligation de se souvenir de certains événements passés, en général des événements meurtriers comme des guerres, des génocides. Dans sa forme négative, il veut dire qu’on ne doit pas oublier les victimes de ces violences » (Christophe Bouton, 2014).
Loin de toutes considérations partisanes, la RDC ne devrait-elle pas rendre plus dignement hommage aux millions de ses filles et fils ayant péri à cause des violences armées dans l’Est du pays ? Ne devrait-elle pas s’interroger sur l’impuissance de son récit, s’il n’en existe un, des événements tragiques de trois dernières décennies liés aux guerres dans son espace oriental ? Ne devrait-elle pas scénariser ce passé lugubre qui échappe, à bien d’égards, fort malheureusement, à la jeune génération congolaise ? Je m’interdis d’emprunter une autre piste de réflexion : pourquoi la RDC ne s’y est-elle pas encore prise alors que ceci peut utilement contribuer, au-delà des clivages, à cimenter l’unité nationale ?
Après un peu plus d’une année de changements avérés de mentalités impulsés par Mzee, le Père du Fils, la RDC est replongée dans une spirale de violences armées marquées, notamment, par la « Première Guerre mondiale africaine » (Susan Rice, 2011) dont le territoire congolais fut uniquement le théâtre, à de très lourdes conséquences. Jusqu’à ce jour.
Fait irrécusable : ce nouveau cycle infernal fut enclenché le 02 août 1998. Vingt-quatre ans après, des pans entiers du territoire national échappent à l’autorité de l’Etat. Inutile, à titre illustratif, d’évoquer Bunagana. D’aucuns y voient une réactualisation de « Carnages. Les guerres sécrètes des grandes puissances en Afrique » (Pierre Péan, 2010).
Cohérence oblige ! Jusqu’ à quand attendre l’institutionnalisation, en RD Congo, d’une journée Souvenir des massacres des Congolais victimes des violences armées ? Ne nous faut-il pas consacrer ne serait-ce que vingt-quatre heures (le « strictissime » minimum), pour informer à fond, scruter froidement, conscientiser sans répit et mobiliser massivement les populations congolaises, toutes générations confondues, sur notre passé le plus douloureux appelant à des actions de soutien aux FARDC à reformer davantage ? Une rupture radicale avec le mauvais goût « Bendele ekweya te ! ».
Les tueries dans l’Est semblent émouvoir de moins en moins Kinshasa, empêtré de plus en plus dans les bruits. Au-delà de la distance géographique, il se développe une impassibilité probablement causée, entre autres, par une incompréhension, dans le chef des jeunes populations – la plus large majorité -, de la récurrence de cycles des violences armées, particulièrement celles de la lignée du 02 août. Comment, dans ce cas, s’offusquer outre-mesure de l’indifférence de la « communauté internationale » face aux accusations rabâchées de Kinshasa contre Kigali ?
Il nous faut voir et comprendre les motivations de la partie immergée de l’iceberg pour agir ensemble. Un secret de polichinelle : la guerre de 1998 fut déclenchée alors qu’une unité de l’armée américaine était juste à la frontière rwando-congolaise en train de former des troupes rwandaises dans l’art de la contre-insurrection.
Officiellement, les Américains étaient là pour, selon Colette Braeckman, « évaluer la capacité du gouvernement rwandais de prévenir un autre génocide ».
Lorsqu’un membre éminent du Sénat américain semble hausser le ton non sans brandir la menace à Anthony Blinken pour le contraindre de se pencher sur les tensions rwando-congolaises, le bras diplomatique de J. Biden promet une visite, août courant, à Kinshasa puis à Kigali. Est-ce si nécessaire alors qu’un mot, un seul (« dégagez ») suffirait pour faire radicalement changer la donne. Preuve que, contrairement au Président de la commission Affaires étrangères du Sénat de la première puissance militaire, l’Administration américaine a encore une autre lecture de la situation sécuritaire dont les Congolais se disent victimes au point d’exiger le départ immédiat de la Monusco.
Certainement, sur cette question, Blinken plaidera, à Kinshasa comme à Kigali, pour l’application de la Feuille de route de Luanda dont un point évoque explicitement le « retour des réfugiés ». En réalité, ceci ne concerne point le Rwanda dont le discours officiel porte sur la clause de cessation (càd ne plus considérer comme réfugiés ceux qui refusent de retourner sur le territoire rwandais alors que les conditions de leur accueil et de leur prise en charge y sont réunies). Quant à la RDC, deux défis à relever : créer les conditions matérielles, et organiser le retour de plusieurs dizaines de milliers de réfugiés vivant dans les camps au Rwanda. Validation, à coup sûr, de la thèse de Friedrich Nietzsche : le diable est dans les détails.
En effet, le « retour des réfugiés » remet sur le tapis les facteurs endogènes de la conflictualité dans l’Est : problèmes foncier, démographique, politique (reconnaissance ou déni de la nationalité congolaise à ceux considérés à tort ou à raison comme des étrangers). Faisant brouiller la dimension exogène du problème. De quoi conforter Kigali, sur l’instigation des démasqués, dans sa stratégie de longue date non pas d’annexer une partie du Kivu (comme d’aucuns le prétendent à tort – j’y reviendrai dans une autre réflexion -) mais plutôt d’y exercer une forte influence pour y maintenir la situation sécuritaire comme telle aussi longtemps qu’elle lui (leur) sera favorable. Quitte à alterner des tactiques. A son (leur) gré.
C’est bien de recourir, non sans contrepartie, aux services des lobbyistes pour faire pression sur l’Administration américaine en faveur de la RD Congo. C’est mieux, pour cette dernière avant tout, de (re)mobiliser ses populations dans ces guerres qui, du voeu de Mzee, devraient être « populaires ». Car, avait-il annoncé, elles seront « longues ». Pour ce faire, Kinshasa doit se pencher plus sérieusement sur la problématique du devoir de mémoire. Mieux vaut tard que jamais.
Lembisa Tini (Phd)