Corruption, contrats défavorables, imbroglios judiciaires… La Gécamines cherche à rompre avec son passé. Si le président Tshisekedi et la nouvelle direction générale s’évertuent à redresser l’entreprise publique, les obstacles restent nombreux.
Elle semble loin l’ère d’Albert Yuma, nommé par l’ancien président Joseph Kabila et resté à la tête de la Gécamines pendant plus d’une décennie. Le président Félix Tshisekedi a mené une vaste opération de nettoyage, qui a débuté fin 2021 avec le renouvellement de la direction. Mais cette nouvelle équipe a hérité d’un lourd passif.
Dans un rapport d’audit de la gestion de la Gécamines datant de mai 2022, l’Inspection générale des finances (IGF) faisait état de plus 580 millions de dollars envolés dans la nature, suspectant un « détournement des deniers publics ». Face à ces sommes astronomiques, l’IGF recommandait alors « le renouvellement des représentants de la Gécamines (…) en privilégiant la compétence, l’expertise et le civisme ».
Ces soupçons de corruption, qui étaient dénoncés depuis des années par des ONG et des membres de la société civile congolaise, ont été corroborés par ce rapport. Impossible pour l’entreprise publique de poursuivre le business as usual.
Près de 1,5 milliard de dollars de pertes
Ce même rapport indiquait que les contrats passés entre la Gécamines et les entreprises étrangères n’avaient que très peu bénéficié à l’État. De 2012 à 2020, ses différents partenaires ont réalisé un chiffre d’affaires global estimé à 35 milliards de dollars, contre seulement 564 millions de dollars de royalties.
L’homme d’affaires proche de l’ancien président Kabila, Dan Gertler, est toujours dans le collimateur du Trésor américain, qui lui reproche d’avoir utilisé cette amitié étroite pour servir d’intermédiaire dans la vente d’actifs miniers et les sous-évaluer.
Sur cinq accords passés entre 2010 et 2012, l’Africa Progress Panel indiquait une perte de recettes pour l’État de l’ordre de 1,36 milliard de dollars. Ce déséquilibre a en particulier profité au géant suisse Glencore et à Metalkol – entité liée à Dan Gertler censée exploiter les juteux rejets du gisement de Kolwezi, et qui avait évincé du site le canadien First Quantum en 2010.
L’homme d’affaires a finalement signé en février 2022 un accord amiable avec le gouvernement congolais. Celui-ci devrait permettre au pays de récupérer les actifs miniers et pétroliers qui lui avaient été attribués, et dont la valeur est aujourd’hui estimée à 2 milliards de dollars. Une volonté affichée de faire table rase du passé.
Nouer des partenariats enfin « gagnant-gagnant »
Mais, outre l’assainissement du secteur, la renégociation des contrats existants est un autre chantier important grâce auquel la Gécamines compte bien se redresser.
Ainsi, par exemple, le chinois CMOC, qui exploite l’une des plus grandes mines de cuivre et de cobalt au monde, a vu ses exportations bloquées par son partenaire minoritaire (20 %). L’entreprise publique le soupçonne de ne pas l’avoir informée de la quantité réelle des réserves du site. Ce que le groupe chinois dément. En août 2021, une commission visant à évaluer l’existence d’un préjudice et de le chiffrer, le cas échéant, a été mis en place par le président Tshisekedi. En février 2022, un administrateur temporaire par un tribunal de Lubumbashi a été nommé. Toutefois, CMOC menaçait encore en décembre dernier d’intenter une action en justice.
C’est aussi l’accord-cadre signé entre les gouvernements chinois et congolais en 2008 qui est visé. D’ailleurs, Félix Tshisekedi s’est exprimé sur le sujet lors du dernier Forum de Davos en janvier. Ce contrat de 6,2 milliards de dollars prévoyait l’accès à d’immenses réserves de cuivre et de cobalt contre la construction de diverses infrastructures pour le pays.
« Les Chinois ont gagné beaucoup d’argent (…) avec ce contrat », a déclaré le chef de l’État dans une interview à Bloomberg. « Maintenant, notre besoin est simplement de rééquilibrer les choses afin que cela devienne gagnant-gagnant », pointant également que ce contrat « très mal rédigé » n’avait eu « aucun impact positif ».
Fruit de cet accord, la Sino-congolaise des mines (Sicomines), partenariat entre plusieurs entreprises chinoises et la Gécamines (32 %), est en effet, elle aussi, dans le viseur de l’IGF. Mais la renégociation des contrats existants, assortis des procédures judiciaires, prend du temps. Là encore, plus d’un an a passé depuis le début des discussions.
Des redémarrages en série ?
Par-delà les âpres renégociations et la lutte contre la corruption, les défis de la Gécamines sont considérables. Relance de la production, très basse encore en 2022 – seulement 4 562 tonnes de cuivre selon les chiffres de la Banque centrale du Congo contre 476 000 tonnes en 1986 – modernisation d’une infrastructure industrielle en ruines… Le rapport de l’IGF indiquait à ce titre que seuls 57 millions de dollars avaient été investis par la Gécamines dans l’outil de production au cours de la période auditée, sur près de 2 milliards de revenus de partenariat.
Sur un autre volet, la Gécamines a créé fin 2019 l’Entreprise générale du cobalt (EGC) pour répondre aux demandes de responsabilité sociale et environnementale (RSE) portées par l’opinion publique. Filiale lancée officiellement en mars 2021, celle-ci a pour vocation d’encadrer correctement l’activité des mineurs artisanaux et d’exercer un monopole d’achat sur le cobalt. Ce cobalt montré du doigt pour les conditions indignes voire mortelles de son extraction pour être vendu à vil prix à des entreprises étrangères.
Par ailleurs, Boss Mining, joint-venture entre Eurasian Resources Group (ERG) et la Gécamines, a redémarré ses opérations à la fin de novembre dernier. Le site devrait produire en moyenne 1 800 tonnes de cuivre et 300 tonnes de cobalt par mois d’ici à mars 2023, annonce la coentreprise, et créer environ 750 emplois. Les termes de l’accord avaient été renégociés fin 2018 à la suite de différents litiges, faisant passer la part de l’entreprise publique de 30 à 49 %.
Autre redémarrage, un gisement de zinc cette fois, exploité par Kipushi Corporation. Cette coentreprise entre le canadien Ivanhoe Mines et la Gécamines, devrait relancer la production prochainement, après trente ans d’arrêt. Là encore, la révision du partenariat, notamment sur les parts respectives et une gouvernance transparente, doit être finalisée avant l’entrée en exploitation du site.
La Gécamines souhaite également se lancer dans l’exploration. Lors d’une intervention à l’African Mining Indaba le 7 février, le président de son conseil d’administration, Alphonse Kaputo Kalubi, indiquait que l’entreprise publique, dont il a reconnu que la situation était « très préoccupante », s’apprêtait à se diversifier.
« L’objectif de nos futures équipes de géologues (…) consistera à organiser des campagnes de prospection systématique sur tous les sites d’extraction (artisanaux, ndlr), afin de rechercher du lithium, de l’étain, du cobalt, du coltan, du titane, de la wolframite, de l’or, des terres rares, etc. Parallèlement, nos services juridiques sont à l’œuvre pour récupérer les permis d’exploitation qui ont été confiés à des partenaires qui ne respectent pas leurs obligations », a-t-il précisé.
Renforcement de l’appareil productif
Afin de revenir dans la cour des grands, le patron de l’entreprise d’État a en outre déclaré vouloir construire, d’ici à cinq ans, au moins deux usines de production, espérant une capacité de plus de 100 000 tonnes de cuivre par an. Cette production devrait aussi être renforcée en janvier 2029 avec l’usine de raffinage de Somidez située sur le site minier de cuivre et de cobalt Deziwa, exploité avec le chinois CNMC, qui devrait devenir à cette date la propriété exclusive de la Gécamines.
Mais Alphonse Kaputo Kalubi compte aussi sur la création de partenariats équilibrés pour relancer l’activité, de nouvelles filiales où l’entreprise publique sera « a minima majoritaire » et pourra valoriser le potentiel géologique de ses 108 permis d’exploitation.
Également présent à la grand-messe des miniers, au Cap, début février, le président Tshisekedi a tenu à rassurer les investisseurs et insisté sur le potentiel minéral du pays, dont seulement « 19 % environ » du territoire a été investigué. Une campagne de recherche géologique s’est d’abord concentrée sur le Katanga et devrait s’étendre « dans les tout prochains jours » dans la province du Kasaï pour le nickel et le chrome.
« L’objectif est de découvrir les nouveaux gisements pouvant faire l’objet d’appels d’offres pour des partenariats public-privé mutuellement rentables », a-t-il ajouté, déplorant les retombées inexistantes jusqu’à aujourd’hui.
Reprise en main totale du secteur
Notons que la localité de Manono, dans la province du Tanganyika, a été désignée comme zone économique spéciale pour sa grande réserve de lithium. Un partenariat avait bien été noué entre l’australien AVZ Minerals (75 %) et l’entreprise congolaise la Cominière (25 %) mais, pour l’heure, celui-ci est à l’arrêt. Un imbroglio judiciaire plane toujours sur le projet, et le minier a annoncé le 10 février la reconduction de sa suspension volontaire, demandant « la résolution et la clarté sur ses droits miniers et d’exploration ».
L’objectif est clair : le gouvernement souhaite reprendre la main sur son secteur minier, afin en particulier de faire du pays le fer de lance des minerais pour véhicules électriques, possédant, entre autres, la réserve de cobalt la plus importante du monde. Les constructeurs automobile ont déjà tous une pléthore de modèles, tant la stratégie est centrale en Europe, en Chine et aux États-Unis, en vue de réduire les émissions du secteur des transports et ainsi lutter contre le changement climatique.
Pékin étant déjà très fortement implanté dans le pays, le département d’État américain a signé en décembre un protocole d’accord avec la RDC et la Zambie afin de stimuler les investissements privés et renforcer sa position sur le marché des batteries, « de la mine à la ligne d’assemblage ». Les États-Unis, après des années de relations glaciales avec l’ex-président Joseph Kabila, n’ont jusqu’à maintenant pas réussi non plus à tisser des liens diplomatiques forts avec Kinshasa. Mais le vent pourrait tourner. Quoi qu’il en soit, si les tensions entre Washington et Pékin s’expriment également sur le terrain des minerais congolais, la RDC, 14e dans le classement des pays les plus pauvres en 2022, souhaite, elle aussi, tirer son épingle du jeu.
Avec Jeune Afrique