Ce 28 septembre, c’est la journée mondiale du droit à l’avortement. Quel est l’état des lieux de la législation congolaise sur l’interruption volontaire de la grossesse ? Tentative de réponse.
Ces quinze dernières années, la République démocratique du Congo a réalisé de grands progrès vers la dépénalisation de l’avortement.
Tout commence en 2008 quand le pays signe le Protocole à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, relatif aux droits de la femme en Afrique communément appelée Protocole de Maputo.
Ce texte signé par 52 pays africains, légalise, dans son article 14 alinéa 2, l’avortement en cas de viol, inceste et autres anormalités fœtales.
Mais entre ce qui est écrit et ce qui est réalisé sur le terrain, l’écart est souvent considérable en Afrique, à cause de plusieurs barrières.
Harmoniser les lois
En RDC, le Code pénal criminalise toujours l’avortement sans aucune exception. Bien que la Constitution consacre la primauté des textes internationaux sur les lois locales — ce qui permet au Protocole de Maputo (Publié en 2018 dans le Journal Officiel) de s’opposer à tous—l’une des plus grandes batailles de la société civile sensible aux questions des droits à la santé sexuelle et reproductive reste la modification des dispositions du fameux article 166 du Code pénale.
« Il faut s’assurer que le Code pénal respecte ce qui est dit dans le Protocole de Maputo. Il faut harmoniser les lois pour s’assurer que la confusion qui est souvent créée au niveau des cours et tribunaux soit levée pour qu’il n’ait pas des patients et des prestataires menacés ou arrêtés », explique Dr Jean-Claude Mulunda, directeur-pays de l’ONG américaine Ipas, l’une des principales organisations qui militent pour la domestication du Protocole de Maputo en RDC.
Institutionnaliser les soins
Ces dernières années, son organisation est en première ligne pour l’institutionnalisation des soins complets d’avortement chez la femme.
Fin 2020, le ministre de la santé a signé les normes et directives des soins complets d’avortement centrés sur la femme qui s’adressent aux prestataires. « Il y a aussi beaucoup d’autres documents au ministère de la santé qui ont été développés. Entre autres, le développement des indicateurs inclus dans le système de gestion des informations sanitaires. On a aussi développé des modules de formation pour les formateurs et des prestataires qui sont déjà validés et en cours d’utilisation », énumère-t-il.
Au ministère de la justice, un Guide pour les magistrats a été élaboré et en cours de validation. Il va permettre la formation de nouveaux magistrats pour qu’ils soient informés de l’existence du Protocole de Maputo.
Les étudiants dans les facultés de médecine, des sciences infirmières et obstétriques vont désormais recevoir des cours sur l’avortement sécurisé.
« Ipas a travaillé à l’Université de Kinshasa pour développer un syllabus dans le département de gynécologie », affirme-t-il.
La communication reste également un élément clé dans ce secteur où la désinformation reste la première ennemie. Et là, Ipas dit également avoir développé avec le ministère de la santé des outils basés sur la communication et le changement des normes sociales au niveau des communautés. Le but étant de créer un environnement social qui favorise l’accès aux soins liés à la santé sexuelle et reproductive et l’autonomie corporelle des femmes.
Plus de 400 avortements par jour à Kinshasa
Il y a aussi le passage à l’échelle :
«Il est important de rendre disponibles les soins complets d’avortement dans toutes les provinces pour que la femme, partout où elle se trouve, ait la possibilité d’accéder aux services. Cela demande, reconnaît le directeur-pays d’Ipas, assez de ressources, un accompagnement du ministère de la santé et le soutien de tous les partenaires ».
Malgré toutes ces avancées, les chiffres restent alarmants. La plupart de femmes et jeunes filles, par ignorance ou par peur face à un Code pénal pas encore mis à jour, préfèrent recourir à des avortements à risques.
S’il est difficile d’établir des chiffres exacts de l’incidence de l’avortement, une étude de l’Institut Guttmatcher et de l’Ecole nationale de la santé publique indique qu’en 2016, 146 700 avortements à risques ont été réalisés à Kinshasa, soit plus de 400 avortements par jour. Ceci représente un taux d’avortement de 56 pour 1 000 femmes en âge de procréer (15–49 ans), qui est bien plus élevé que le taux régional global dans le Centre de l’Afrique de 35 pour 1 000 femmes en 2010–2014.
L’avortement à risques est la deuxième cause de mortalité maternelle en RDC, après les hémorragies.
Intégrer les soins complets d’avortement dans la stratégie nationale de couverture santé universelle
A l’occasion de cette journée mondiale du droit à l’avortement, les jeunes du mouvement Youth Sprint ont publié une lettre ouverte à l’attention des autorités. Ils invitent le Parlement à harmoniser le code pénal au Protocole de Maputo.
Le gouvernement devrait, selon ces jeunes, intégrer les soins complets d’avortement dans la stratégie nationale de couverture santé universelle et veiller à l’application stricte des prescrits de l’article 14 alinéa 2.c du Protocole de Maputo. Il est également appelé à intégrer les différentes composantes de l’éducation sexuelle complète dans le curricula scolaire « afin d’aider les adolescents à prendre des décisions éclairées sur leur sexualité ».
Socrate Nsimba