Le déploiement, en plein jour, la semaine dernière, d’un contingent de l’armée burundaise dans la province du Sud-Kivu continue de faire jaser tant dans l’arrière-pays où je séjourne qu’à Kinshasa, siège des institutions nationales.
Pourtant, sur ces entrefaites, dans un communiqué, le porte-parole de l’opération Sukola 2 Sud-Kivu, le lieutenant Marc Elonga, a tenté de rassurer l’opinion publique : « Ce contingent burundais actuellement cantonné au centre d’instruction de Luberizi est venu dans le cadre de la mutualisation des forces prônée par les chefs d’Etat de l’Afrique de l’Est ». Ce, en vue, aux côtés des Forces armées de la RDC, de « traquer tous les groupes armés étrangers et locaux », précise le communiqué.
Bien plus, le 18 août, au cours d’une conférence de presse conjointe avec son homologue de la Tanzanie, le président Félix Tshisekedi a, entre autres, déclaré : « Le Burundi est déjà positionné en RDC dans le cadre de la force EAC (East Africa Community/Communauté de l’Afrique de l’Est, ndlr) ».
Plutôt que de rassurer davantage quant à la détermination du gouvernement congolais d’en finir avec les producteurs des violences armées dans l’Est du pays, la communication stratégique de la RDC sur le bienfondé de la présence des troupes burundaises suscite des interrogations à la base des équivoques à mettre en évidence pour les dissiper et, au final, rassurer et mobiliser davantage les populations dont le soutien n’est pas à sous-estimer en temps de guerre.
Au-delà des dynamiques politiques au Kenya et d’éventuelles conséquences sur le processus de paix à la base de l’initiative du déploiement d’une Force régionale dans l’Est de l’Etat congolais, je préfère, à ce stade, me focaliser sur des principes. Simplement.
Inexistence d’une base juridique de la Force régionale
Le déploiement des troupes burundaises suppose l’existence d’un fondement juridique dont la compétence de la construction relève de la responsabilité exclusive du conseil de sécurité des Nations Unies. Sauf décision unilatérale d’une puissance mondiale de se passer de l’ONU. Exemple : l’intervention militaire américaine, en mars 2003, en Irak de Saddam Hussein.
Dans la pratique érigée en coutume, c’est le Conseil de sécurité, organe le plus prépondérant des Nations unies, qui autorise expressément, dans un cadre de coopération régionale ou sous-régionale, le recours à la force dans un Etat où il est établi l’existence d’une menace contre la paix, d’une rupture de la paix ou d’un acte d’agression.
L’activisme des groupes armés étrangers et locaux dans l’Est de la RDC est une « menace contre la paix internationale dans la Région » (Conseil de sécurité, 2612 du 20 décembre 2021).
Alors que le Kenya, pays porteur du processus dont découle l’initiative du déploiement de la Force régionale, siège au Conseil de sécurité, ce dernier n’a ni examiné ni donné un quelconque mandat pour une action coercitive dans l’Est du pays. En a-t-il déjà été saisi ? Non, à ma connaissance après moult vérifications. Pourquoi ? De quoi intriguer.
En 2013, alors que la SADC était déterminée de déployer sa force en appui à la RDC pour éradiquer le M23 puis les autres groupes armés, le conseil de sécurité en avait décidé autrement. Il en a résulté la création d’une Brigade d’intervention, jadis composée exclusivement des pays de la SADC mais intégrée, jusqu’alors, au sein de la Monusco. Neuf ans après, le Conseil de sécurité en décidera-t-il autrement lorsqu’il aura examiné une requête, à cet effet, de l’EAC ? Le doute est permis. Ne serait-ce que du fait du précédent ci-haut. Ce, d’autant plus que le Kenya et la Tanzanie, pays de l’EAC, ont des troupes au sein de la Brigade d’intervention de la Monusco, reconfigurée, l’an dernier, par le conseil de sécurité qui l’a ouverte à des pays non membres de la SADC.
De ce qui précède, il est évident que le déploiement des troupes burundaises ne saurait, au sens strict, découler de la Force régionale, toujours un projet à ce stade. Au sens strict. Je précise non sans insister.
Par ailleurs, dans un cadre de coopération bilatérale, le Burundi peut déployer ses troupes sur la base d’un accord conclu avec le Gouvernement de la RDC. Il s’agit de deux logiques bien différentes et aux procédures distinctes. Considérer que ce déploiement des troupes burundaises est à inscrire dans l’ordre de la Force régionale suggérerait de déduire qu’il n’y a pas d’accord entre la RDC et le Burundi qui en constituerait la base juridique. En attendant que ça soit de même pour la Force régionale.
Sources de financement de la Force régionale
Le déploiement d’une force régionale pour une action coercitive, particulièrement dans un cadre multilatéral, requiert le partage du fardeau des défis financiers et logistiques entre les pays concernés. Il n’est pas un vilain défaut que de s’interroger sur les sources de financement de la Force régionale ? Bien au contraire. Ça pourrait contribuer à rassurer l’opinion publique sur les non-dits de la solidarité des pays concernés dont le niveau de développement économique, dans un contexte de gestion des effets néfastes de la Covid-19, fait douter sur leurs capacités de financer, sans appui d’une puissance extrarégionale, les opérations envisagées dans le cadre de la Force régionale suivant une délimitation spatiotemporelle à prendre en compte.
L’Ouganda, déjà engagé en bilatéral dans la traque des ADF-MTN, va-t-il se démener pour débourser davantage dans le cadre de la Force régionale ? Le Rwanda, exclu de la Force régionale, ne devra pas non plus y contribuer. Le Soudan du sud, le plus jeune Etat africain, peine à sortir de la morosité quasi congénitale.
Le Burundi s’emploie à tourner une page noire de son histoire récente marquée par des crises politiques non sans conséquences économiques.
La Tanzanie, qui a payé un lourd tribut à la guerre ces dernières années dans l’Est du pays, ne donne pas encore d’indications susceptibles de rassurer sur son niveau d’engagement dans la Force régionale.
Le Kenya est en pleine transition politique qui limite sérieusement ses marges de participation au financement de ladite Force. Qui va-t-il donc financer l’action coercitive pour laquelle le Burundi a d’ores et déjà déployé ses troupes ?
Puisque « l’Etat est le plus froid des monstres froids (…) » (Friedrich Nietzsche) et, bien plus, à l’instar de l’Angleterre, « n’a pas d’amis ou d’ennemis permanents (…) n’a que des intérêts permanents » (Lord Palmerston), il n’est pas déplacé que de chercher à entrevoir la contrepartie des financiers de ce projet sécuritaire. D’autant plus qu’il y a lieu de redouter des financements externes susceptibles de provenir de l’exploitation illégale des ressources naturelles du pays.
Ces équivoques, et bien d’autres, méritent d’être suffisamment pris en charge dans le but de favoriser la clarification des contours du projet de la Force régionale – noble serait-il – et, sur cette base, de mobiliser davantage les populations en soutien aux initiatives régionales de paix et de sécurité dans l’Est du pays. Entre-temps, comptons avant et après tout sur nos propres ressources à divers égards pour vaincre durablement l’institutionnalisation de la spirale de l’insécurité dans l’Est du pays.
Lembisa Tini (PhD)