Le gotha politique congolais prend ses quartiers dans le grand Kasaï, région du centre du pays, où se donnent rendez-vous les animateurs de principaux institutions du pays, le temps d’une tournée du président de la République. Premier arrêt, la ville de Kananga, chef-lieu de la province du Kasaï central. Félix Tshisekedi y est attendu ce lundi. Déjà, ministres, députés nationaux et même journalistes ont posé leurs valises à Kananga, sous forme d’équipes d’avance dans l’attente de l’arrivée de l’avion présidentiel qui ne regagnera pas la capitale avant le 28 décembre.
Officiellement, le président Tshisekedi va à Kananga pour « inspecter des projets de développement ». Il doit, entre autres, relancer les travaux de la centrale hydroélectrique de Katende en plus de donner un coup de pouce à d’autres projets d’infrastructures. Mais le débat autour des réformes constitutionnelles devraient occuper une place de choix. Depuis octobre, le président congolais ne manque pas l’occasion de prêcher son évangile, visant tantôt le changement, tantôt la révision de la Loi fondamentale.
L’escale au grand Kasaï, qui est également sa région d’origine et son fief électoral, est une occasion de mobiliser ses soutiens.
Fête au centre, pleurs dans l’Est
Les six prochains jours seront particulièrement mouvementés dans cette partie du pays alors que le président va passer le réveillon de Noël à Kananga avant de mettre le cap sur Mbuji-Mayi au Kasaï oriental puis Tshikapa au Kasaï. A Kananga, la fièvre monte déjà, dans l’attente du président. Les états-majors des partis politiques de l’Union sacrée se mobilisent pour drainer des foules à l’aéroport. En cette période des festivités de fin d’année, la visite du président Tshisekedi au centre du pays est également perçue comme une opportunité politique majeure. L’agenda du président a coché notamment des rencontres avec les élites locales et des forces vives mais aussi des meetings.
Depuis le début de son second mandat en janvier, Félix Tshisekedi a effectué une itinérance-marathon, visitant tour à tour le Haut-Katanga, la Tshopo, le Tanganyika, le Haut-Uéle et le Bas Uélé. Déjà, l’évangile de la révision constitutionnelle a été prêché à Kisangani, Buta, Isiro, Kipushi, Kalemie, Lubumbashi et Kinshasa, en plein Congrès. Dans cette campagne politicienne, la situation de l’Est du pays, en proie à une crise humanitaire sans précédent, semble une fois de plus être reléguée au second plan. L’annonce de la tournée de Tshisekedi au centre du pays a eu le mérite de réveiller les critiques sur cette concentration des efforts gouvernementaux sur le Sud, dans la région du Katanga -Tshisekedi est attendu à Kolwezi en février- et le Centre du pays, au détriment de la région orientale où des millions de citoyens continent de souffrir dans le silence.
Au Nord-Kivu, en Ituri et récemment au Sud-Kivu, des milliers de déplacés continuent de survivre dans des camps de fortune. Aux portes de Lubero centre, les terroristes du M23, soutenus par le Rwanda, à en croire le gouvernement congolais et les rapports de l’ONU, sèment désolation, panique et déplacements des populations. Ces rebelles occupent déjà des vastes territoires de la province dont Bunagana, célèbre cité frontalière tombée depuis plus de 2 ans. Obligées de laisser leurs toits, des familles ont pris d’assaut des camps de déplacés où elles manquent de tout : eau potable, nourriture, d’abris décents.
En plus du M23, une autre situation oubliée, celle des ADF, a déjà coûté la vie à des milliers de civils dans la région de Beni, toujours au Nord-Kivu, mais aussi dans la province de l’Ituri voisine. Cette situation humanitaire précaire est l’une des plus graves du continent africain, avec plus de 7 millions de personnes déplacées, selon l’ONU. Pourtant les actions gouvernementales dans cette région restent sporadiques et insuffisantes. Pour certains analystes, ce choix du gouvernement révèle un déséquilibre dans la gestion des urgences nationales. « La crise de l’Est est un test de leadership national. En tant que dirigeants, vous ne pouvez pas prétendre gouverner un pays sans donner la priorité à ceux qui souffrent la plus », estime un expert politique.
Les populations locales, de leur côté, espèrent plus d’attention de la part du gouvernement en guise de « soutien symbolique et concret », ce qui tarde à venir alors que le président Tshisekedi, alors candidat en 2018, avait promis d’ériger ses bases à Goma dès son élection pour « terminer la guerre ». Élu, Tshisekedi a rassuré que la fin de la guerre ne nécessitait pas sa présence physique, rassurant tout de même que ramener la paix dans l’Est du pays était le thermomètre de la réussite de son bail présidentiel.
Yvette Ditshima