Depuis l’élection de Joe Biden, aucun représentant américain pour la région des Grands lacs n’a été désigné. Désintérêt des États-Unis ou manque de compétences ? Face aux violences dans l’Est de la RDC et à l’approche de l’élection présidentielle, de nombreuses voix réclament un plus grand engagement de Washington.
Kinshasa, le 11 août dernier. Au dernier jour de sa visite en République démocratique du Congo, et alors qu’il s’apprête à décoller pour Kigali, Antony Blinken est interpellé par des acteurs de la société civile et des défenseurs des droits de l’homme. Tour à tour, Denis Mukwege, le célèbre médecin, prix Nobel de la paix en 2018, les activistes Julienne Lusenge et Fred Bauma veulent s’assurer que le secrétaire d’État américain fera preuve de fermeté vis-à-vis du pays voisin. Depuis la résurgence du M23 en novembre 2021, le Rwanda est accusé, malgré ses démentis, de soutenir le mouvement rebelle.
Un deuxième point est alors abordé quand ils demandent la nomination d’un envoyé spécial des États-Unis pour les Grands Lacs. Une requête déjà formulée en 2021 par l’ONG Human Rights Watch : « Compte tenu de la détérioration de la situation et des conséquences potentiellement dévastatrices pour la RDC et la région si rien n’est fait, il est temps que le gouvernement américain adopte une nouvelle approche et s’engage au plus haut niveau (…). Un tel engagement devrait prévoir la nomination d’un nouvel envoyé spécial pour les Grands Lacs », écrivait alors l’organisation. Outre un activisme politique en vue de nouvelles négociations de paix dans l’Est du Congo, un envoyé spécial américain aurait pour mission de travailler sur les questions de bonne gouvernance et de lutte contre la corruption, alors que la prochaine présidentielle doit se tenir en décembre 2023.
Désintérêt ?
Depuis l’arrivée au pouvoir de Joe Biden, le départ de J.Peter Pham, qui occupait ce poste durant les deux dernières années de la présidence Trump, a été acté, mais nul n’a été nommé pour le remplacer. Un signal qui plaide plutôt pour un désengagement des États-Unis dans la région.
« Il est fort possible qu’un envoyé spécial américain soit nommé pour veiller aux enjeux électoraux en RDC dans le but de la consolidation démocratique, plutôt que pour faire avancer le processus de paix régional », explique une source diplomatique européenne.
« Si l’administration Biden ne trouve pas opportun de nommer quelqu’un, cela veut dire que ça ne figure pas dans ses priorités », estime un conseiller du président congolais Félix Tshisekedi. »La nomination d’un envoyé spécial ne serait pas une mauvaise chose, cela permettrait au gouvernement américain de suivre de près la situation. Mais quelle serait sa marge de manœuvre pour obtenir des progrès sur le terrain ? Blinken est venu à Kinshasa mais qu’est-ce qui a changé sur terrain ? » commente un membre du gouvernement.
Résultats
Traditionnellement, la nomination d’un envoyé spécial revêt plusieurs atouts. Elle permet d’assurer une couverture globale d’une région (en l’occurrence, Burundi, RDC, Ouganda et Rwanda) et à y faire émerger une politique américaine sur les plans sécuritaire, humanitaire , économique… Une stratégie qui a porté ses fruits par le passé.
Russ Feingold, envoyé spécial pour les Grands lacs de 2013 à 2015, avait contribué à gérer la première offensive du M23, après la prise de contrôle de Goma en 2012. Il avait notamment exercé une pression appuyée sur le Rwanda qui avait fini par retirer son soutien au groupe rebelle, finalement défait. Il avait également contribué à la signature de l’accord-cadre pour la paix, la sécurité et la coopération à Addis-Abeba.
« Aujourd’hui, la résurgence de ce mouvement pourrait aussi découler d’un certain détachement des États-Unis sur ces questions, dont l’approche n’est plus globale », explique une source diplomatique.
De l’avis d’un ancien envoyé spécial américain qui a requis l’anonymat, la réussite de la mission d’un envoyé spécial dépend de trois éléments.
Premièrement, il doit avoir son propre poids politique au sein de l’administration. « Si l’administration Biden a déjà nommé son troisième envoyé spécial pour la Corne de l’Afrique, c’est précisément parce que les deux premiers étaient certes des diplomates expérimentés, mais n’avaient pas d’importance politique », ajoute notre source.
Deuxièmement, l’envoyé spécial doit avoir d’excellentes relations personnelles avec les secrétaires d’État américains adjoints dont la compétence chevauche la leur, sous peine de conflit bureaucratique. Troisièmement, l’envoyé spécial doit proposer quelque chose de plus que les ambassadeurs américains en poste. Sinon, à quoi servent-ils ?
Compétences
« Quand je pense à mes prédécesseurs, ceux qui ont eu le plus d’influence sont ceux qui ont apporté quelque chose de spécial à la table, que ce soit la longue histoire personnelle de Howard Wolpe [envoyé spécial de l’administration Clinton] pour la paix et le développement dans la région, ou l’engagement de Tom Perriello [sous Obama] dans le domaine des droits de l’homme et de l’État de droit. Moi, j’avais non seulement étudié et publié sur la région, mais j’avais des amitiés personnelles avec de nombreux dirigeants et représentants de la société civile », se souvient J.Peter Pham.
Un an et demi après son arrivée au pouvoir, pourquoi l’administration Biden ne nomme-t-elle personne ? « Je pense que l’administration Biden ne savait vraiment pas quelle politique elle souhaitait mener en l’Afrique”, estime une autre source diplomatique occidentale. « Il leur a fallu des mois pour trouver un candidat au poste de secrétaire adjoint pour l’Afrique en la personne de Molly Phee. Contrairement aux administrations démocrates de Clinton et d’Obama, ils n’avaient tout simplement personne qui répondait aux critères », poursuit notre source.
Plus dure, une autre source diplomatique évoque la négligence de l’administration Biden, qui n’offrirait au continent « que des paroles en l’air ».
Stanis Bujakera Tshiamala, Jeune Afrique