Donné il y a quelques mois encore pour politiquement mort, l’ancien directeur de cabinet du chef de l’État joue la carte de l’humilité, bien décidé à ne pas inquiéter le président Tshisekedi et son entourage. Pour l’instant du moins, car il n’a rien perdu de son ambition.
Vendredi 12 août, à Kinshasa. Loin de Bunagana, localité du Nord-Kivu qui est depuis deux mois passée sous le contrôle des rebelles du M23, Félix Tshisekedi s’apprête à marier sa fille aînée. Il a tout juste le temps de lancer le conseil des ministres hebdomadaire qu’il lui faut déjà rejoindre les festivités à l’hôtel Fleuve Congo. Mais ce n’est ni sur la mariée, Fanny, ni sur son époux, David Nsimba, ni même sur son président de père que se concentre l’attention.
Vedette malgré lui de ces deux jours de fête : Vital Kamerhe, l’ancien directeur de cabinet du chef de l’État congolais, passé par la case prison mais finalement acquitté au terme d’un deuxième procès en appel le 23 juin dernier.
Il est venu accompagné de son épouse, Hamida Chatur, et les photos font le buzz sur les réseaux sociaux. D’autres figures de la vie politique congolaise ont fait le déplacement – Jean-Pierre Bemba, Samy Badibanga – mais les regards sont braqués sur le patron de l’Union pour la nation congolaise (UNC).
Le voici qui échange avec Marthe Kasalu, la mère du chef de l’État, puis avec Denise Nyakeru, l’épouse de ce dernier, mais aussi avec Fortunat Biselele, son influent conseiller privé, Jean-Michel Sama Lukonde Kyenge, le Premier ministre, Christophe Mboso, le président de l’Assemblée nationale… À n’en pas douter, Kamerhe est l’autre star de la soirée. Et il signe en ces instants son grand retour dans le cercle du pouvoir.
Soirée dansante au Pullman
L’attention est si forte que le lendemain, il renonce à participer à la soirée dansante organisée au Pullman, lors de laquelle Koffi Olomidé donne pourtant de la voix. Il faut dire que c’était la première apparition publique de l’ancien « dircab » qui, condamné pour détournement, a passé près de deux ans à la prison de Makala. Kamerhe revient de loin, il le sait. Tout le monde le sait. Mais trois ans et demi après son arrivée au pouvoir, Félix Tshisekedi a perdu une bonne partie de ses stratèges.
Le sage Kitenge Yesu, dont il avait fait son conseiller, s’est éteint en mai 2021. François Beya, le sécurocrate que l’on croyait intouchable, est jugé depuis juin dernier pour complot contre le chef de l’État. Tombé en disgrâce, Jean-Marc Kabund, qui était si utile à la tête de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS, parti présidentiel) et à l’Assemblée, a tourné casaque, créé son propre parti et annoncé sa candidature à la prochaine présidentielle. Quant à l’expérimenté François Muamba, il est affaibli par la maladie et se tient à distance de l’arène.
Alors nombreux sont ceux qui, en ce mois d’août, pensent que Félix Tshisekedi tente de remettre son ancien allié en selle. Après tout, Vital Kamerhe ne lui avait-il pas donné des gages en se désistant en sa faveur, en 2018 ?
Le 28 juin, cinq jours après son acquittement, le patron de l’UNC a été reçu par Félix Tshisekedi à la cité de l’Union africaine (UA). Accolade, embrassades… C’était surtout l’occasion de marquer sa réhabilitation officielle, tout en signifiant sa disponibilité au chef de l’État et en lui exprimant son souhait de voir se renforcer les liens entre leurs deux partis. Cet homme à qui l’on a si souvent reproché d’afficher son ambition joue pour l’instant la carte de l’humilité.
Mais jusqu’à quand ? Le 22 août, il effectuait sa rentrée politique en prenant part au bureau politique de l’UNC. Est-il grisé par l’enthousiasme de l’accueil ? « Le développement de la RDC dépend de nous-mêmes, lâche-t-il devant ses partisans. Le pays a besoin d’un leadership visionnaire, rassembleur et éclairé. » Une petite phrase que l’entourage de Félix Tshisekedi a tôt fait d’interpréter comme un tacle peu subtil.
« On avait dit au président de ne pas permettre qu’il soit acquitté, s’agace l’un de ses proches. Mais il n’a rien voulu entendre et aujourd’hui, Kamerhe s’attaque à lui. »
Félix Tshisekedi et son entourage redoutent une « mauvaise surprise »
Soucieux d’éteindre la polémique, Vital Kamerhe publie un communiqué le soir même. « Le développement de la RDC dépend de nous-mêmes. Le pays a besoin d’un leadership visionnaire, rassembleur et éclairé tel que prôné par le chef de l’État », écrit-il. Et comme si ses seules ambitions étaient celles qu’il nourrit pour son parti pour les législatives qui seront organisées en même temps que la présidentielle en 2023, il ajoute : « Travaillons ensemble et ensemble nous sommes forts, ensemble, nous allons donner à l’UNC un grand groupe parlementaire. C’est notre objectif pour les élections de 2023. »
« Kamerhe est malin »
Il n’empêche. Félix Tshisekedi et son entourage redoutent une « mauvaise surprise ». « Vital Kamerhe est malin, insiste l’un des stratèges du président. À tout moment, il peut se déclarer candidat. Pourquoi, sinon, refuser de prendre la coordination de l’Union sacrée ? »
Un autre proche du chef de l’État détaille l’idée qui avait germé dans les couloirs dans la cité de l’UA : confier à Kamerhe la coordination de l’Union sacrée, cette majorité hétéroclite qui s’est constituée autour du président après la rupture avec Joseph Kabila. Cela aurait permis de « contenir ses ambitions présidentielles » tout en l’empêchant de faire de l’ombre à Félix Tshisekedi, qui compte bien décrocher un second mandat. Le coordinateur aurait notamment eu à organiser la campagne du président-candidat. « Mais Kamerhe n’est pas prêt à assumer ce rôle. Et ce même si, avant d’être libéré, il a laissé entendre qu’il ne serait pas candidat. »
Alors, que veut Vital Kamerhe ? « Il veut la primature, avance notre interlocuteur dans l’entourage de Tshisekedi. Mais même s’il a été acquitté, cela ne donnerait pas une bonne image du pays. »
« Nous ne faisons pas de la primature une question de vie ou de mort, mais nous voulons le respect de l’accord de Nairobi [conclu en novembre 2018] », répond un proche de l’intéressé.
Cet accord prévoyait justement que Vital Kamerhe serait nommé à la tête du gouvernement une fois Félix Tshisekedi élu. « Mais entretemps, il y a eu l’alliance avec le FCC [Front commun pour le Congo, de Kabila]. L’accord de Nairobi est caduc », martèle-t-on parmi les proches du président. « Vital Kamerhe n’est pas revenu avec l’idée de se porter candidat à la présidentielle, mais l’attitude de nos amis au pouvoir peut changer la donne », rétorque-t-on à l’UNC.
Gagner l’Est
Une chose est sûre : le président a besoin de son ancien allié, qui est originaire de Bukavu (Sud-Kivu) et sans lequel il aura du mal à rallier l’Est à sa cause en 2023.
À Kinshasa, on réfléchit d’ailleurs à lui faire une autre proposition : un poste de haut-représentant chargé des questions de paix dans l’Est. Kamerhe, qui achève un séjour en Europe, doit d’ailleurs s’y rendre une fois rentré au pays.
Commissaire général adjoint en charge des relations avec la Monuc au début des années 2000, puis commissaire général du gouvernement chargé du suivi du processus de paix dans les Grands Lacs, Vital Kamerhe a déjà conduit une mission de pacification dans l’Est. Il connaît bien le sujet. Tshisekedi va-t-il formaliser sa proposition et Kamerhe va-t-il accepter ? « Pour le moment, ils s’observent, résume une source proche de deux hommes. Le premier semble ne pas trop savoir que faire du second. »
Stanis Bujakera Tshiamala, Jeune Afrique