Le président congolais reste sur une ligne dure face au Rwanda, qu’il accuse de soutenir le M23. Pour gérer ce dossier hautement sensible, il compose depuis des mois avec un entourage où se côtoient des partisans d’une position ferme et d’autres, favorables à une posture plus ouverte vis-à-vis de Kigali.
Confronté depuis des mois à l’avancée des rebelles du M23 qu’il accuse d’être soutenus par le Rwanda, Félix Tshisekedi maintient jusque-là un ton offensif sur la scène diplomatique. Son discours à la tribune des Nations unies, le 20 septembre, en a sans doute été l’un des meilleurs exemples. Le chef de l’État congolais y a, comme lors de chacune de ses dernières interventions, dénoncé « l’agression du Rwanda » et appelé la communauté internationale à « ne plus se fier aux dénégations éhontées » de Kigali.
En parallèle, il s’est engagé dans deux processus de médiation, à Luanda et Nairobi. Ralenties par les présidentielles angolaises et kényanes, ces initiatives sont à la recherche d’un second souffle.
Une rencontre entre ministres des Affaires étrangères s’est ainsi tenue le 5 novembre en Angola. Un nouveau round de dialogue avec les groupes armés est prévu prochainement à Nairobi et le déploiement de la force régionale de l’EAC doit également s’accélérer. Pour jongler entre ces différents impératifs, Félix Tshisekedi s’appuie sur une poignée de collaborateurs au sein de son gouvernement, de son cabinet et de ses services de sécurité. Sous pression sur le front militaire et dans une impasse sur le plan diplomatique, il doit aussi composer avec différentes lignes stratégiques prônées dans son entourage, où s’activent des partisans d’une attitude ferme et d’autres, du maintien, en coulisses, d’un canal de discussion avec Kigali.
Patrick Muyaya
Sur le front médiatique depuis le début de la crise, le ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement incarne la ligne offensive défendue publiquement par le gouvernement. Il est aussi en contact régulier avec les cabinets de lobbying engagés aux États-Unis au début de l’année.
Ces derniers, notamment le cabinet Scribes Strategies and Advisors, dirigé par Joseph Szlavik, s’activent autour de l’entourage du président Joe Biden, du Département d’État et auprès du Congrès américain. Ce lobbyiste, familier des milieux politiques et économiques congolais depuis de nombreuses années, briefe régulièrement Patrick Muyaya sur l’évolution de la position de Washington.
Christophe Lutundula
Vice-Premier ministre chargé des Affaires étrangères, il gère de son côté le front diplomatique. Lors de sa prise de parole, le 25 mai 2022 à la tribune de l’Union africaine (UA) à Malabo, il avait été l’un des premiers à mettre directement en cause l’implication du Rwanda aux côtés du M23.
Alors qu’au même moment le discours de Kinshasa se voulait prudent, évoquant, selon les termes de Patrick Muyaya, « des soupçons qui se cristallisent autour du Rwanda », le chef de la diplomatie avait accusé le « M23, soutenu par le Rwanda » d’avoir attaqué le camp de Rumangabo. Depuis, comme son collègue du ministère de la Communication, Christophe Lutundula multiplie les interventions dans les médias et plaide auprès du chef de l’État pour le maintien d’une ligne offensive vis-à-vis de Kigali. Il est notamment consulté pour l’écriture de certains discours de Félix Tshisekedi.
Serge Tshibangu
Le mandataire spécial de Félix Tshisekedi, qui est aussi le « Monsieur États-Unis » du chef de l’État, s’est progressivement imposé au cœur du dispositif diplomatique de celui-ci. Cheville ouvrière du processus de Nairobi, il a joué un rôle central dans le revirement stratégique qui a conduit la RDC à choisir l’option d’une table ronde avec plusieurs groupes armés, au détriment d’un dialogue bilatéral avec le M23 défendu par le patron du Mécanisme national de suivi de l’accord d’Addis-Abeba, Claude Ibalanky. Ce dernier était un interlocuteur privilégié du mouvement rebelle, dont il assurait le suivi de la feuille de route signée en 2019 et disposait de solides entrées à Kigali et à Kampala.
Swahiliphone et anglophone – Serge Tshibangu sert régulièrement d’émissaire auprès de certains présidents, notamment au Kenya et fait aussi office de traducteur lors de certaines bilatérales entre Tshisekedi et certains de ses homologues anglophones. Il participe aujourd’hui à la plupart des déplacements du chef de l’État congolais dans la sous-région et plaide, lui aussi, pour le maintien d’une ligne ferme.
Roland Kashwantale Chihoza
Apprécié du chef de l’État comme de la Première dame Denise Nyakeru Tshisekedi, il est aujourd’hui l’un des sécurocrates en vue à Kinshasa. Son nom circule depuis plusieurs mois pour succéder à l’ancien conseiller en sécurité de Félix Tshisekedi, François Beya, arrêté en février dernier et jugé pour « complot » contre le président. Kashwantale connaît bien Beya : il a longtemps été son adjoint à la Direction générale de migration (DGM) avant de prendre la tête de cette institution en février 2019, après l’arrivée au pouvoir de Tshisekedi.
Toujours dans l’ombre, il bénéficie de l’entière confiance du clan présidentiel. Il s’est notamment distingué au début de 2020 lorsque, dans un contexte de rupture entre Tshisekedi et Joseph Kabila, plusieurs personnalités proches de l’ancien président ont connu des difficultés pour voyager. L’arrestation de Beya, traditionnel interlocuteur d’une partie des sécurocrates rwandais, a poussé Kashwantale à occuper une place plus importante dans le dossier de l’Est, alors qu’il ne bénéficiait que d’entrées très limitées dans la sous-région.
Le patron de la DGM a notamment été l’un des discrets interlocuteurs des maîtres-espions rwandais, qu’il s’agisse des services de renseignements (NISS) dirigés par Joseph Nzabamwita ou des renseignements militaires, pilotés par Vincent Nyakarundi. Félix Tshisekedi a aussi fait appel à lui pour trancher certains différends entre conseillers sur ce dossier, comme celui qui a opposé Serge Tshibangu et Claude Ibalanky.
Jean-Hervé Mbelu Biosha
Chahuté par « l’affaire Beya » – ce sont ses services qui ont procédé à l’arrestation de l’ancien « Monsieur sécurité » de Tshisekedi – le patron de l’Agence nationale de renseignement (ANR) n’en reste pas moins un membre du dispositif du président pour la gestion de cette crise. S’il suscite la méfiance de certains voisins, frustrés par la mise à l’écart de « Fantomas », Mbelu est resté associé aux discussions entre services de renseignements.
Mi-septembre, il s’est notamment rendu à Paris dans le cadre d’une réunion organisée par la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) avec des responsables des renseignements rwandais et ougandais. Il suit également les discussions menées dans le cadre du processus de Luanda, à savoir la médiation menée par le président angolais João Lourenço. Une réunion entre les ministres des Affaires étrangères congolais et rwandais s’est tenue le 5 novembre dans la capitale angolaise. Mbelu a d’ailleurs fait partie de la délégation conduite par le ministre Christophe Lutundula.
Christian Tshiwewe Songesha
Nommé le 3 octobre, le nouveau chef d’état-major des Forces armées de la RD Congo (FARDC) a succédé à Célestin Mbala. Celui qui dirigeait, jusqu’à sa nomination, la garde républicaine, est aujourd’hui l’un des militaires en qui Félix Tshisekedi place sa confiance au sein d’une armée dont il s’est longtemps méfié, car réputée, dans une certaine mesure, trop proche de l’ancien président Joseph Kabila. Tshiwewe a désormais la lourde charge de reprendre le commandement de militaires en difficulté face au M23.
Si sa promotion s’inscrit dans une logique de reprise en main de l’armée par Félix Tshisekedi, des inquiétudes subsistent concernant son manque d’expérience du front. Il devra notamment travailler avec le général Marcel Mbangu, le nouveau patron de la troisième zone de défense (Nord-Kivu, Sud-Kivu, Ituri, Maniema et la Tshopo), qui remplace Philémon Yav. Cet autre général, réputé proche de Kabila, a été arrêté dans des circonstances troubles en septembre dernier. Le chef de l’État s’appuie déjà régulièrement sur un autre membre de la garde républicaine, lui aussi promu lors du dernier remaniement de l’armée : le général Jérôme Chico Tshitambwe, nouveau chef d’état-major adjoint des FARDC, actuellement déployé à Goma.
Franck Ntumba
S’il n’est pas en contact direct avec le dossier du M23, le patron de la maison militaire dispose d’une véritable influence auprès de Félix Tshisekedi. Nommé en juillet 2020, à l’issue d’un premier remaniement, le général Franck Ntumba est présenté par plusieurs sources comme l’une des têtes pensantes de la refonte du commandement militaire effectué en octobre.
Dans l’entourage du chef de l’État, peu ignorent que les relations de cet ancien du renseignement militaire avec le chef d’état-major Célestin Mbala n’étaient plus bonnes. L’influence de Ntumba sur la gestion des opérations et de l’état de siège irrite également une partie de l’armée, qui lui reproche d’outrepasser ses prérogatives.
Fortunat Biselele
Conseiller privé du chef de l’État, cet intime parmi les intimes de Félix Tshisekedi fut membre des services de renseignements du Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD-Goma), rébellion soutenue par le Rwanda au début des années 2000. Fortunat Biselele fait aujourd’hui partie de ceux qui, au sein du cabinet, ont plaidé pour une ligne moins offensive que celle actuellement adoptée.
Lorsque, au début de son mandat, le président avait impulsé un rapprochement avec Paul Kagame, « Bifort » avait joué les émissaires de l’ombre. À l’époque, il était l’un des interlocuteurs du conseiller en sécurité de Paul Kagame, James Kabarebe. Il a longtemps conservé des liens avec Kigali, comme certains de ses proches passés par le RCD, à l’image de l’homme d’affaires Eddy Ngarambe, aussi réputé pour avoir ses entrées auprès de Félix Tshisekedi.
Stanis Bujakera pour Jeune Afrique