Né à Kinshasa le 28 janvier 1967, fils de Nsene Etienne du clan Kinkata et de Mabiki Ida du clan Monya-mo-Letome, tous deux de la communauté des Batiene de l’actuelle province de Mai-Ndombe, en RDC, le Professeur Bienvenu Sene Mongaba était marié à Sara Mortoni, d’origine italienne, avec qui il a eu trois enfants : Selina, Felice et Rory.
Le professeur a tiré sa révérence dans la journée du lundi 31 janvier 2022, alors que la veille, il participait encore à une Conférence en ligne organisée par « Bolingo Consult » et « Lingua-Cultura Expérience », dans le cadre de la semaine des langues africaines, pour clamer l’urgence, en Afrique, d’enseigner dans la langue maternelle de l’enfant africain. Ce fut sa dernière intervention…
Il nous a quittés, suite à un malaise cardiaque survenu pendant qu’il travaillait sur son ordinateur en faveur de sa cause, encore et encore.
Pour son équipe de l’Institut Nsene Etienne, le Professeur Bienvenu n’ayant, à leur connaissance, aucun problème de santé, s’est véritablement – et l’expression est on ne peut plus à propos – tué au travail.
L’Institut Nsene Etienne, est l’école qu’il a fondée en hommage à son père, qui ne cessait de lui dire de s’imprégner de savoir afin d’être utile aux autres : c’était le Leitmotiv de sa vie.
Et de savoir, il s’est en abreuvé.
Formé tout d’abord en RDC où il fit ses études primaires à l’Institut Ngwanza à Mikondo – Kimbanseke, et ses études secondaires générales à Saint Kibuka à Masina, puis secondaires scientifiques au collège Bonsomi à Ndjili, il obtint sa licence en chimie à l’Université de Kinshasa en 1994.
Il poursuivit ensuite ses études de 3ème cycle en Belgique, à l’ULB où il obtint un D.E.S en Chimie en 1998, puis une agrégation en sciences naturelles à l’UCL en 2006 et enfin un doctorat en langues et cultures africaines de l’Université de Gand en 2013.
Il s’intéressait aussi énormément à la géographie, à l’histoire et à la culture congolaise ; le Professeur Bienvenu Sene Mongaba était une véritable encyclopédie en lui-même.
A partir de l’année 2000, il commence à travailler dans la production et la traduction « français-lingala ».
En 2002, il fonda les Editions Mabiki, qui publient des œuvres en langues congolaises et des œuvres d’auteurs africains en langue française également.
Il est lui-même auteur de romans en français et en lingala, ainsi que d’ouvrages scientifiques français-lingála (tableau périodique des éléments chimiques, manuels de chimie et manuel de mathématique).
Il a également publié le dictionnaire de six langues (français, anglais, lingala, kikongo, kiswahili & tshiluba).
« S’imprégner de savoir pour être utile aux autres »… S’imprégner de savoir c’était fait, il fallait dès lors, être utile aux autres. Ainsi, enseignera-t-il en Belgique et aidera-t-il les enfants de son quartier, à Kinshasa, en leur expliquant des matières telles que la chimie et les mathématiques. Mais face à la difficulté des enfants à assimiler la matière, il y eut un vrai déclic du côté du Professeur ; il se rappellera que dans son parcours scolaire, il a vécu comme une véritable souffrance, l’apprentissage dans une langue qu’il ne connaissait pas. Elève, il développait alors différentes stratégies pour pouvoir malgré tout réussir (telles que prendre des temps fous à mémoriser la matière sans rien comprendre).
Ce retour en arrière le poussa à se dire qu’il fallait peut-être donner aux enfants de son quartier des explications en lingala. Quand il fit ainsi, ce fut, en effet, tout de suite plus facile pour les enfants. C’est à ce moment qu’émerge sa volonté de faire reconnaître comme une évidence, l’enseignement dans la langue que comprend l’enfant, sa langue maternelle.
Il entreprit également de commencer à enseigner le lingala en Belgique, pour répondre à des demandes de plus en plus fortes et c’est alors qu’il sera buté à ce qu’il pensait être la pauvreté du vocabulaire en lingala, recourant même pendant ses cours encore au français pour combler cette lacune. C’est ainsi qu’il entreprit un doctorat en linguistique axé sur l’étude du lingala à l’Université de Gand et réalisa que ce n’est absolument pas le lingala qui est pauvre, mais que c’est notre connaissance du lingala qui l’est.
Une fois son doctorat obtenu et les codes du lingala acquis, il devient professeur de Lingala et en Belgique et en RDC et de traduction à l’UPN de Kinshasa.
Ne voyant aucune volonté politique d’investir dans l’enseignement dans nos langues, il fonda, sur fonds propres, l’Institut Nsene Etienne en 2013 ; toujours et encore ce leitmotiv, « s’imprégner de savoir pour être utile aux autres ».
L’Institut Nsene Etienne est une école primaire et secondaire dans la commune de Kimbanseke à Kinshasa, où les enseignements se donnent dans une approche bilingue lingala-français, mais basé sur le lingala. A ce jour, le directeur actuel de l’Institut nous rapporte que 350 élèves du quartier sont passés sur les bancs de cette école.
Il répétait encore lors de sa derniere intervention à la Conférence datant du 30 janvier, la veille de sa mort, qu’ il y a urgence en RDC et en Afrique, à enseigner aux enfants dans leur langue maternelle, parce qu’ils doivent avoir un accès direct au savoir scientifique et technologique, être confrontés directement aux problématiques scientifiques et technologiques, au lieu de celles de la langue d’enseignement et être ainsi capables de penser par eux-mêmes au lieu d’etre des répétiteurs de données trouvées par ailleurs, qui rencontrent rarement les besoins de l’Afrique.
« Il y a des routes à construire, il y a des maisons, des hôpitaux à construire, il y a de la nourriture à produire et donc au lieu de passer son temps à apprendre le français pour produire des quantités industrielles de pain, pour concevoir un ordinateur, qu’on se focalise directement sur la production des quantités industrielles de pain, sur la conception de l’ordinateur, sur un moyen plus efficace de piler son pondu, etc. », affirmait-il.
Et d’ajouter : « Quand nous africains, sommes enseignés en français, nous avons l’impression que les technologies, les sciences, la philosophie, viennent d’Europe parce qu’on nous les enseigne en français. Or, chaque société possède ces sciences et nos sociétés africaines également. Et si nous voulons accéder au niveau scientifique actuel, nous devons ôter cette barrière de la langue. Désormais ne doivent faire partie de nos ambitions que l’accès au savoir, aux sciences et aux technologies.
Ça fait 60 ans que nous tournons en rond et ça fait presque 200 ans que nous avons été confrontés à la société internationale et poursuivons avec leurs méthodes non-adaptées à l’Afrique. Il est temps, il est urgent de changer de paradigme ! »
Le Professeur Sene Mongaba liait l’action à la parole ; il travaillera et écrira entièrement sa thèse de doctorat de plus de 500 pages en lingala, pour illustrer qu’il était complètement possible de faire de la recherche et de produire des documents scientifiques en lingala. Il traduira par la suite seulement, sa thèse en français.
Il élabora tout le tableau périodique des éléments chimiques en lingala, « tableau périodique des éléments chimiques » qui donne en lingala « etanda ebandelaka yabibuki ya kemi ».
« Son tableau périodique est exposé au Musée de Tervuren, mais est-il valorisé dans son propre pays ? Combien de congolais connaissent l’existence de ce tableau périodique? Mon profond regret et ma révolte, c’est que la RDC perd de brillants hommes sans mettre les moyens de tirer à maximum profit d’eux, pour un Congo meilleur. S’il avait eu les moyens de ses ambitions, s’il avait eu les moyens de multiplier ses collaborateurs, le Professeur Bienvenu Sene Mongaba serait peut-être encore des nôtres aujourd’hui et la RDC aurait laissé éclore un grand nombre de génies dans différents domaines à même, eux-mêmes, de rebâtir leur pays, au lieu de toujours faire appel aux entreprises étrangères qu’on rémunère en puisant dans les caisses de l’Etat, en renflouant les caisses des États étrangers alors que ces milliards peuvent être réinjectés dans notre économie en faisant appel à des congolais qualifiées – ce qui fera un bien fou dans la balance des paiements de la RDC, pour autant que notre système éducatif et de formation professionnelle s’axent sur l’accès direct au savoir et non sur l’absolue nécessité de connaître le français que nos enfants non-francophones finissent d’ailleurs par ne pas connaître si bien que ça. », scande Mireille Kasongo Munanga, Administratrice déléguée de l’Asbl Yes! AfriCan RDC, association partenaire de l’asbl Mabiki qui était sa co-intervenante lors de ce qui est devenu l’ultime intervention du Professeur Bienvenu Sene Mongaba, dans la conférence en ligne du 30 janvier 2022, pour promouvoir l’enseignement dans les langues africaines.
Il était prévu que le Professeur Bienvenu Sene Mongaba soit à Kinshasa, dans quelques jours, en tant qu’intervenant lors d’un Symposium organisé par cette association partenaire et en partenariat avec l’UNESCO RDC, dans le cadre de la Célébration, sur trois (3) jours, de la Journée internationale des langues maternelles, du 21 au 23 février 2022 au #Showbuzz.
La thématique des échanges est « L’Afrique est-elle prête aujourd’hui pour un enseignement multilingue basé sur la langue maternelle de l’apprenant africain ? »
Le Professeur Bienvenu Sene Mongaba devait y partager l’expérience de l’Institut Nsene Etienne.
De cette expérience, est né le projet « APPRENDRE DANS MA LANGUE », qui consiste entre autres à dupliquer l’expérience Nsene Etienne dans les 26 provinces ; des écoles modernes, équipées et outillées, dans lesquelles des enseignants qualifiés seront formés pour enseigner dans une langue locale de chaque province.
Tout le projet sera présenté le 23 février 2022 lors du Symposium.
Le Professeur Bienvenu Sene Mongaba était désigné pour coordonner le groupe de travail des formations des enseignants et des formations des formateurs ainsi que celui de la production des manuels et outils scolaires dans les langues congolaises.
Sans nul doute, le monde scientifique, celui de l’éducation et celui culturel de la RDC regrette le décès d’un pionnier, d’un génie, mais aussi d’un combattant qui s’est donné corps et âme pour la « construction de la pensée et la transmission des savoirs » dans les langues congolaises, tant dans les institutions publiques que dans le système de l’enseignement.
La rédaction