À Kinshasa, encore enfant, j’étais émerveillé par un genre musical particulier qui mettait en valeur des danseurs qui s’exprimaient à travers des jeux de jambes impressionnant, on les appelait « Jecoka ».
Plus tard grâce à mes lectures, j’ai su que ce style de musique a été rendu célèbre par des jeunes artistes dont la tête d’affiche était Masengo Edouard…
Masengo Edouard alias «Katiti» est né en 1933 à Kafubu, une mission catholique située à une quinzaine de kilomètres de la ville d’Elisabethville, aujourd’hui Lubumbashi.
Chantre à la chorale des Petits chanteurs à la croix de cuivre, il avait été, en 1945, soliste soprano dans l’exécution de la Missa Katanga, une nouvelle création de chant religieux qui s’était ajoutée à la Missa Luba.
Masengo se mit ensuite à la guitare, grâce à la proximité de Jean Bosco Mwenda, son cousin, tandis que ses parents déménageaient de la commune Albert à la commune Kenya naissante.
La chorale des Petits chanteurs de la croix du cuivre, est la première chorale prestigieuse du Katanga fondée en 1945 par le bénédictin Anschaire Lamoral à l’école Saint-Boniface de la mission Saint Jean dans la commune Albert (Kamalondo).
À l’époque coloniale, de nombreuses manifestations sportives et culturelles sont préparées par les autorités belges qui, en symbiose avec leurs voisins britanniques, organisent des joutes qui mettent en lice les habitants du Katanga et ceux des pays limitrophes, dont la Rhodésie du Nord, actuelle Zambie, ainsi que la Rhodésie du Sud, aujourd’hui Zimbabwe.
Des tournois de football opposent les clubs katangais, à savoir Englebert et St Eloi, actuellement Mazembe et Lupopo, aux clubs zambiens tels Cooperbelt, Nkana, Kitwe, Mufulira et Tshingola.
Des groupes des comédiens, en provenance de la Zambie, accompagnent leurs équipes et agrémentent, après les rencontres sportives, des soirées de réjouissances dans les bars d’Elisabethville.
Très vite, ces spectacles suscitent l’engouement des jeunes congolais de la commune de Kenya.
C’est ainsi que par mimétisme, Masengo et ses amis créèrent, en 1950, un groupe de musique de détente, qui fut baptisé Jecoke (Jeunes comiques de Kenya).
Imitant des chants afro-américains, leur musique est caractérisée par un savant dosage du gospel et d’influence rhodésienne.
Leur spécialité, qui leur valait du succès, était l’exécution de la danse dite kalinchelinche (mot d’origine zoulou exprimant la plasticité chorégraphique et désignant une danse caractérisée par la vibration électrisée des jambes).
Le groupe Jecoke se compose principalement de Masengo Edouard alias Katiti à la guitare et au chant, Mwala Bernard au chant, Kabeya Antoine alias Kolbitch ou Kabeya corbeau assurant la voix basse, Nkulu Romain et Nkole Thomas, également au chant, etc.
En 1955, Moïse Tshombe, qui était le Président d’honneur de la troupe, lui proposa un contrat pour aller se produire à Musumba. L’initiative fut à la base d’une grande tournée.
En effet, avant cette destination, les Jecoke se produisent à Jadotville, Kolwezi, Kasaji, Sandoa. Après Musumba, ils continuèrent sur cette lancée à Kamina, Luluabourg, puis Léopoldville, où ils arrivèrent le 4 janvier 1956.
Après une tournée dans les villes du Bas-Congo et à Brazzaville, ils se dirigèrent vers les villes du Nord : Coquilhatville, Stanleyville, Buta et Bunia.
Les lurons du Katanga quittent leur fief en 1956 pour une tournée en Afrique de l’Est (en Tanzanie, au Kenya puis en Ouganda).
Volant de succès en succès, le groupe rencontre au Kenya une autre formation célèbre City five, et fortuitement les deux ensemble partagent la même scène.
Après le périple africain, les Jecoke regagnent le Congo pour la ville de Goma, puis conquièrent Bukavu, Bujumbura, Kindu et Kisangani avant l’apothéose de Kinshasa.
Les Jecoke drainent une renommée indiscutable…
La jeunesse de grandes villes au Congo se laisse emporter par le mouvement excitant des Jecoke puis des Jecokat… Elle ne vibre qu’au rythme des chansons katangaises « Seven », siku moja, kulikuwata mutu, alipenda michezo, na furaha katika mimbo zake, jina lake Seven, oh sisi wa ! minakumbuku wazaz wangu, … tout cela bien entendu, assaisonné de la célèbre danse « Braka tuba ».
Quant au groupe Jecokat (jeunes comédiens du Katanga) crée en 1955, il connaît son triomphe en 1957, avec des musiciens pétulants, mais cadets de Masengo, tels Pascal Onema Pao, chanteur et danseur affublé du sobriquet de « Ressort », Gérard Kazembe, chanteur ; Douven, chanteur ; Kapinu , chanteur et danseur ; Freddy Mulongo, chanteur et danseur… Ces jeunes lushois de Kamalondo s’établissent dans la ville de Kinshasa (grâce à un mécène Maurice Alhadef propriétaire des ateliers de confection de jeans de marque Flamy) avant de se produire à Bruxelles en 1958 à l’occasion de l’exposition universelle.
Au retour de Bruxelles, seul Gérard Kazembe poursuit la carrière musicale à Léopoldville, où il ouvre la célèbre boîte de nuit « la perruche bleue ».
Pour revenir à Masengo Edouard, le public kinois découvre son doigté, lors de brillantes prestations du groupe Jecoke, dans le cadre de célèbres « Spectacles populaires » organisés par un sujet belge nommé Mahieu.
En 1961, Masengo émigre vers Nairobi au Kenya où il chante pour Jomo Kenyatta, Julius Nyerere et Odinga Odinga. Il s’engage ensuite pour le compte de la multinationale Coca-cola.
Les voyageurs qui sillonnent ce coin de l’Afrique se remémorent les grandes affiches publicitaires portant l’effigie de Masengo Edouard flanqué de sa guitare et vantant les vertus rafraichissantes boisson américaine.
Par la suite, Edouard Masengo disparait de la scène musicale avant de rebondir en 2003, et ce, à la grande satisfaction de ses groupies. Hélas, ce n’est qu’un sursis. Le 27 mars de la même année, l’artiste rend l’âme à Lubumbashi, vaincu par une longue maladie.
Excellent musicien, troubadour des temps modernes, Edouard Masengo, à la suite de Jean Bosco Mwenda, a contribué à faire connaître un style de guitare insuffisamment usité dans l’univers musical de l’époque.
Auteur compositeur étonnant, Masengo est entré par la grande porte dans le panthéon des noms illustre de la musique congolaise.
Pour mémoire, une de ses œuvres célèbres, les trois qualités d’une femme, qu’il lègue à la postérité, connaît un retentissement énorme grâce au thème développé à la fois en français, en lingala, en swahili et en tshiluba.
L’artiste s’illustre encore plus avec « Malaika », œuvre versée au patrimoine mondial et que la célèbre chanteuse sud-africaine Myriam Makeba porte au pinacle.
Références
Isidore Ndaywel è Nziem. Nouvelle histoire du Congo. Des origines à la République Démocratique. Tervuren, le Cri Afrique Editions
Jean-Pierre François Nimy. Dictionnaire des immortels de la musique congolaise. Louvain -la-Neuve, Editions Bruylant-Academia