Le président de la République a lancé le 5 septembre à Kinshasa les services de maternité gratuits à Kinshasa. Quels sont les opportunités, les risques et les défis de ce programme ambitieux qui doit s’étendre sur toutes les provinces du pays d’ici l’année prochaine ?
Directeur-pays de l’Ong américaine Ipas, Dr. Jean-Claude Mulunda s’est largement étendu sur la question dans une interview exclusive accordée à INFOS.CD
Comment, en tant que partenaire du gouvernement dans le domaine de la santé sexuelle et reproductive, accueillez-vous la mise en œuvre de la gratuité de la maternité ?
L’accès aux soins de la maternité est un élément clé dans la promotion de la justice reproductive et dans la jouissance des droits à la santé sexuelle et reproductive. C’est un engagement important que prennnent le président de la République et le gouvernement de la RDC. Cela ne nous étonne pas car, depuis le début [de notre engagement en RDC], nous avons vu le gouvernement faire la différence dans ce secteur. Vous pouvez voir les énergies qui ont été déployées pour domestiquer le Protocole de Maputo [charte Africaine qui promeut les droits des femmes dans tous les domaines] dans le pays. Aujourd’hui, la RDC fait partie des pays francophones qui sont très avancés sur la domestication du Protocole de Maputo. Nous félicitons le gouvernement pour cet engagement tenu et pour le soutien à ce programme ambitieux et nous pensons que cela va changer beaucoup de choses.
Que représente à vos yeux cet engagement ambitieux du gouvernement ?
Cet engagement réaffirme la volonté du gouvernement de pouvoir s’investir dans la justice reproductive du pays comme moyen de réduire les inégalités entre les hommes et les femmes, de promouvoir l’éducation des filles, l’autonomisation des femmes, assurer et garantir la participation politique et civique de qualité aux femmes.
Quelles sont les opportunités d’un tel programme ?
La maternité gratuite contribue aux objectifs de développement durables 3 et 5 liés aux services de santé de qualité et à l’égalité de genre. En même temps, elle renforce l’accès aux services de qualité des soins, réduit la mortalité maternelle, favorise l’émergence des jeunes femmes et jeunes filles.
La RDC est parmi les cinq pays au monde à être fortement touchés par la mortalité maternelle. Pensez-vous que ce programme peut réduire ce taux élevé ?
La mortalité maternelle très élevée que connaît la RDC est parfois due au fait que les femmes n’ont pas accès aux informations de qualité, relatives à la grossesse, à l’accouchement et à ce qu’il faut s’attendre après accouchement. Tous ces coûts sont parfois difficiles à couvrir. C’est ainsi qu’elles ont tendance à faire recours aux raccourcis, par exemple aller chez les matrones ou encore accoucher à la maison. Parfois même lorsqu’elles vont à l’hôpital, reçoivent des soins, ne sont pas capables de payer la facture et sont retenues comme prisonnières. Tout cela met en danger la vie de la femme et de l’enfant. Offrir les services de maternité gratuits, c’est un pas en avant, un pas de géant dans la lutte contre la mortalité maternelle.
Quels peuvent être les risques dans la mise en œuvre de ce programme ?
Si ce programme réussit, cela va changer beaucoup de choses pour l’avenir de ce pays. Nous le soutenons, encourageons et participerons à cette initiative ambitieuse du gouvernement qui va demander un coût financier important, des réformes au niveau du ministère de la Santé, des infrastructures, de la formation des prestataires. Il faut une nouvelle chaîne d’approvisionnement en commodité, en consommables médicaux dans le système de santé. Le président de la République a donné sa parole, le gouvernement semble assez déterminé, nous les partenaires, parce que nous militons pour cela, nous soutenons. Et Ipas est très engagé à accompagner cette initiative.
Certains dans l’opinion réduisent la gratuité maternité au simple fait d’assurer un accouchement gratuit aux femmes. Est-ce une erreur ?
Il y a une différence à faire entre la maternité gratuite et l’accouchement gratuit. La maternité gratuite représente tout un programme qui a plusieurs composantes. Donc, le gouvernement voudrait effectivement investir dans toutes ces composantes. Si on attend uniquement les femmes le jour de l’accouchement, on ne pourra pas réduire la mortalité maternelle et ses risques. Le gouvernement s’occupe de la période avant la grossesse, de l’accouchement et de la période après accouchement (1 mois). Dans le paquet, il prévoit d’investir dans la promotion de la planification familiale et l’accès à la contraception. Cela inclut l’accès à des informations crédibles.
Tout le monde s’est focalisé sur l’accouchement et finalement, cela a créé de la confusion.
Deuxième élément sur lequel le gouvernement va s’investir : les services liés à la grossesse. Celle-ci peut aller jusqu’à l’accouchement ou s’arrêter. Si la grossesse va jusqu’à l’accouchement, le gouvernement va prendre en charge les soins de consultation prénatale qui seront gratuits pour toutes les femmes. Si la grossesse ne va pas jusqu’à son terme pour une raison ou une autre (arrêt spontané ou arrêt provoqué). Dans tous les deux cas, le gouvernement préconise de prendre également en charge. Les soins complets sur l’avortement centrés sur la femme font partie du paquet des services de maternité gratuits, parce que c’est l’unique façon de s’attaquer à toutes les composantes qui contribuent à la mortalité maternelle. Il y a aussi la contraception post-partum. Les femmes ont la possibilité et l’option de choisir leur méthode après l’accouchement. On va juste mesurer l’éligibilité à cette méthode. Plus on va permettre aux femmes d’accoucher dans les maternités, plus on va améliorer l’accès aux soins prénatals, plus on va améliorer la prévalence contraceptive.
Ne craignez-vous pas que la gratuité de la maternité vienne faire la mauvaise publicité du planning familial, car on entend déjà dans l’opinion ceux qui estiment que c’est l’occasion donnée aux Congolais de remplir leur terre qui ne serait pas peuplée…
C’est une très mauvaise conception de ce que le gouvernement et le chef de l’Etat veulent faire. Le risque est que cela vienne même des politiques. On devrait harmoniser la communication au niveau de la sphère politique pour que tous comprennent qu’il ne s’agit pas ici de pousser les femmes à faire des enfants quand elles ne le souhaitent pas ou de faire des enfants en désordre. En réalité, la maternité gratuite vient renforcer l’utilisation de la contraception et du planning familial.
Quels sont les pièges à anticiper dès maintenant pour la mise en œuvre heureuse de la gratuité de la maternité?
La mise en œuvre de ce programme pose quelques conditions : le système de santé et son financement. Il faut se préparer en conséquence. Se doter des infrastructures, des équipements, des commodités, des médicaments et former les prestataires. Au-delà de tout, il faut améliorer le traitement des prestataires (médecins, sage-femmes et infirmiers) qui sont censés offrir ces services. Sinon, les femmes vont se sentir pousser à payer les prestataires. On a vécu la même chose avec la gratuité de l’enseignement. En gros, le système de santé doit s’adapter et faire face à cela. Si on se limite à acheter les consommables, il y aura beaucoup de problèmes d’accessibilité. Il faut mettre du paquet, mais l’argent n’est pas tout ce qu’il faut. Il n’y a pas de soins de santé sans ressources humaines. L’OMS est très claire là-dessus. Ne pas traiter correctement les prestataires et s’attendre à ce que le service soit de qualité, ce serait se foutre le doigt dans l’œil. Le travail des prestataires va augmenter. Les formations sanitaires qui recevaient 10-20 accouchements par mois, vont se retrouver en train de couvrir entre 100 et 200 accouchements. Beaucoup de femmes qui accouchaient dans des conditions non sécurisées ( à la maison ou chez les matrones) vont toutes revenir aux systèmes de santé. Cela va demander des prestataires additionnels. Tout cela va nécessiter une bonne organisation et non seulement un simple lancement de campagne. C’est le piège à anticiper dès maintenant.
Propos recueillis par Socrate Nsimba
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