LETTRE OUVERTE A M. FELIX-ANTOINE TSHISEKEDI, PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE
Monsieur le Président de la République,
À la veille de la commémoration du 61ème anniversaire de l’indépendance nationale et surtout de votre prochain déplacement à Bruxelles pour vous « approprier » la relique de la dépouille de feu mon père et ancien Premier ministre, Patrice Emery Lumumba, malgré le report du voyage en janvier 2022, j’ai tenu à vous adresser ce courrier de manière publique afin que le peuple congolais et l’opinion internationale soient témoins de mon message.
Depuis votre arrivée à la tête du pays, votre apparente volonté est d’honorer la mémoire des illustres personnalités qui ont assumé des responsabilités au sommet de l’État congolais. Il s’agit particulièrement des anciens Présidents de la République, Kasavubu, Mobutu et Laurent-Désiré Kabila, ainsi que de l’ancien Premier ministre Lumumba.
Pour ce dernier, sa « réhabilitation » semble constituer, pour vous, l’acte majeur qui doit marquer votre actuel mandat et en donner le lustre indispensable. Et peu importe l’exigence d’une concertation avec l’ensemble des membres de la famille proche de P.E Lumumba-car Lumumba a 5 enfants-, peu importe la nécessité d’une justice au préalable pour Lumumba, tous les moyens vous paraissent bons pour atteindre votre objectif.
Je souhaite, à travers ces quelques mots, vous rappeler votre premier devoir, celui de défendre l’État congolais et ses citoyens. En d’autres termes, la recherche de la justice afin que puisse triompher le droit pour tout Congolais, mort ou vivant, ne peut être l’objet de marchandage, de tripatouillage à des fins de desseins personnels.
Pour Patrice Emery Lumumba, sa réhabilitation et l’hommage à lui rendre commencent et passent principalement par là : une justice d’abord sur son assassinat.
Connaître enfin la vérité sur la mort de Lumumba reste un droit inaliénable pour la famille de Lumumba, pour le peuple congolais et pour tous ses partisans en Afrique et dans le monde.
Qui l’a assassiné et pour quels motifs ?
C’est pour obtenir des réponses à ces deux angoissantes questions et bien d’autres que la famille a, en 2010, déposé une plainte au pénal, avec constitution de partie civile, auprès des tribunaux belges.
En 2012, la justice belge a déclaré avoir ouvert une enquête à la suite de cette plainte.
Pour qu’un procès puisse avoir une chance de se tenir, il est indispensable que l’Etat Congolais se constitue à son tour partie civile. Quoi de plus simple et de plus normal.
C’est dans ce sens que se situe d’ailleurs ma démarche auprès de vous, en janvier 2019.
Par mon premier courrier auquel vous n’avez réservé aucune suite, même pas un accusé de réception, contrairement aux règles protocolaires et administratives, mon but était une rencontre pour vous expliquer cet aspect fondamental qui devait enclencher le processus d’une digne réhabilitation de P.E. Lumumba.
Aujourd’hui, vous avez choisi une autre voie, celle qui ne permet pas d’honorer et de réhabiliter véritablement l’ancien Premier ministre. Car, en mobilisant d’immenses moyens financiers – un budget de 16 millions de dollars est mentionné dans la presse – en vue de rapatrier le reste de sa dépouille, au détriment de la décision de constituer l’État congolais en partie civile, vous autorisez la justice belge à enterrer la démarche judiciaire, étant donné que sur les douze Belges accusés, plusieurs sont déjà décédés.
Le temps de la justice étant déjà long, la Belgique, dont la responsabilité politique dans l’assassinat ne fait pas l’ombre de doute, se satisfait pleinement aujourd’hui de voir l’intérêt de la République Démocratique du Congo se porter uniquement sur le rapatriement de la dent et l’organisation des funérailles.
Votre démarche téméraire n’est donc ni plus ni moins que de donner une seconde mort à P.E. Lumumba.
Bien entendu, elle a reçu le soutien décisif de trois de mes proches, pour des raisons qui ne pourront jamais se justifier et qui ont, pour définition appropriée, le terme de trahison.
Dans leur aveuglement et leur mépris à l’égard de deux autres enfants, ils vous ont convaincu comme étant les seuls ayants droit de la succession de Patrice-Emery Lumumba.
Je dois souligner que sa famille biologique compte cinq enfants dont quatre garçons et une fille. C’est sur la base de la décision concertée des cinq enfants que le procureur fédéral belge a le devoir de restituer ou non la seule relique de la dépouille de feu mon père, P.E. Lumumba.
Ce droit d’enfants de Lumumba ne peut être retiré aux deux autres fils par quiconque sur cette terre des hommes. Vous le savez bien, Monsieur le Président de la République.
Je sais que vous lirez cette lettre avec attention. Mais je sais aussi que vous ne tiendrez aucun compte de son contenu tant vous êtes obsédé à asseoir votre pouvoir et lui donner de l’éclat.
L’horizon de 2023 hante également vos jours et nuits jusqu’à vous pousser à l’obstination.
Ce serait une erreur de croire que ces populations que vous croyez convaincre par cette méthode brutale et aveugle en ce qui concerne la mémoire et l’hommage à son premier ministre vous apporteront leur confiance et suffrage demain si vous décidez malgré tout de piétiner sur la démarche judiciaire.
Monsieur le Président de la République, le report du programme controversé de rapatrier la dent de P.E. Lumumba s’avère une opportunité pour que l’État congolais mette enfin en place un vrai processus pour honorer la mémoire de Lumumba, en trois étapes : 1° se constituer partie civile à la plainte déposée auprès de la justice belge, 2° décider du rapatriement de la relique et des funérailles après concertation avec l’ensemble de la famille proche et consultations au niveau du parlement et du gouvernement ; 3° organiser les funérailles et pérenniser sa mémoire.
Contrairement à l’affirmation de certains, l’organisation du rapatriement de la relique et de l’inhumation dans les conditions et circonstances actuelles n’apporteront pas de soulagement au long combat entrepris pour son hommage et ne panseront pas les plaies ouvertes depuis soixante ans.
Seule la vérité sur la tuerie de Lumumba apaisera la douleur de la famille, celle du peuple congolais et des lumumbistes d’Afrique et du monde.
Je vous prie d’agréer, Monsieur le Président de la République, l’expression de ma haute considération.
Guy-Patrice LUMUMBA