
En quelques jours, un tweet trompeur a été diffusé des milliers de fois et relayé par plusieurs médias. Selon son auteur, l’ex-femme du joueur du PSG et star de la sélection marocaine aurait tenté de s’emparer de sa fortune, mais ce dernier aurait déjà tout mis « sous le nom de sa mère ». Ses fans jubilent. Mais tout est faux.
Depuis cinq jours, une fake news fait le tour d’internet et le bonheur pervers d’internautes marocains et de masculinistes en tous genres. Au cœur de la polémique : les déboires matrimoniaux d’Achraf Hakimi, footballeur d’origine marocaine évoluant au PSG et star incontestée depuis la dernière Coupe du monde.
Résumons l’affaire : en plein divorce, l’actrice espagnole Hiba Abouk, en passe de devenir l’ex-femme de Hakimi, aurait demandé « plus de la moitié des biens et de la fortune du footballeur marocain ». Mais, retournement de situation : la vedette du ballon rond aurait protégé ses arrières en mettant « toute sa fortune sous le nom de sa mère, il y a longtemps ».
L’astucieux procédé empêcherait Hiba Abouk, ainsi dépeinte en femme vénale, de toucher le « jackpot ». Ce dénouement fantasmé semble combler nombre d’internautes, dont les fans du Lion de l’Atlas, qui depuis la première occurrence de cette rumeur multiplient les réactions satisfaites et les plaisanteries sexistes sur les réseaux sociaux.
Parmi eux, entre autres : le masculiniste controversé Andrew Tate, le champion d’Ultimate fighting championship (UFC, une ligue américaine d’arts martiaux mixtes, MMA) Israel Adesanya ou encore l’ex-star d’UFC catégorie poids lourds, le Camerounais Francis Ngannou.
Genèse d’une fake news
Seulement, cette histoire n’a aucun fondement et les deux principaux intéressés n’ont pas jugé bon de la commenter. Elle illustre parfaitement les résultats d’une étude du MIT publiée en 2018, selon laquelle les fake news se diffusent plus rapidement que les vraies informations. À l’origine de l’affaire, un tweet publié le 13 avril dernier par la page ivoirienne « First Mag ». Ce site, coutumier de la diffusion de fake news, use d’ailleurs moins du ton journalistique que de celui du commentaire humoristique. À ce jour, le message en question a été retweeté plus de 15 000 fois et liké près de 97 000 fois. La republication de l’information par de gros comptes comme la page américaine @DailyLoud a donné une visibilité accrue à la fausse information. Plusieurs médias généralistes et sportifs l’ont depuis relayés sans tenter de la confirmer. Mais toujours aucun démenti de la part de First Mag, qui au contraire surfe sur l’écho médiatique construit de toutes pièces.
Il faut par ailleurs préciser qu’Achraf Hakimi est depuis mars 2023 mis en examen et placé sous contrôle judiciaire pour viol par le parquet de Nanterre. Lui dément catégoriquement les faits. Son avocate, Me Fanny Colin, dénonce même une « tentative de racket ». Mais cet événement n’aurait pas de lien avec la procédure de divorce en cours. Après cinq ans de relation, dont trois sous le régime du mariage, Hiba Abouk s’est finalement exprimée au sujet de leur rupture, au lendemain de l’annonce de sa mise en cause pour viol :
« Aujourd’hui, je me sens obligée de rendre cette déclaration publique pour exprimer mon état d’esprit et clarifier de première main la désinformation qui circule ».
En effet, une autre rumeur voulait que Hiba Abouk ait quitté la star du ballon rond lorsque l’affaire a éclaté. Preuve de sa « non-loyauté » selon les supporters du joueur. Pour ce qui est des accusations auxquelles fait face son ex-mari, l’actrice a déclaré être « du côté des victimes » et « faire confiance au bon travail de la justice ». Deuxième coup bas pour le fan-club de Hakimi, qui ne croit pas une seconde aux déclarations de la victime déclarée. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que Hiba Abouk est la cible des internautes. Par le passé, elle a déjà subi des accusations d’attitude « anti-marocaine » suite à l’exhumation d’une vieille photo de l’actrice avec un militant sahraoui, a vu circuler des photos qualifiées de « vulgaires », ou a dû faire face à des commentaires désobligeants sur sa différence d’âge avec Achraf Hakimi.
Confortés dans leur analyse de la situation par les derniers rebondissements, les soutiens du joueur jubilent, sur les réseaux, à l’idée que leur idole aurait intelligemment su empêcher son épouse de faire main basse sur une partie de sa fortune. « Coup de génie », crient les uns, « Masterclass », « Excellent move » ajoutent les autres… Même si l’information est fausse.
Intouchable
Mais au-delà du fait que l’ex-femme du joueur est souvent critiquée pour des raisons principalement sexistes, cette nouvelle polémique révèle à quel point les joueurs de la sélection marocaine – et de facto Hakimi -, sont désormais érigés au rang de totem aux yeux du public marocain. La vie privée de ces sportifs qui ont réussi à insuffler de l’espoir à tout le monde arabe et à toute l’Afrique lors de la récente Coupe du monde est depuis constamment scrutée et commentée.
Aujourd’hui, Achraf Hakimi n’est plus un sportif lambda. En parallèle, la relation fusionnelle qu’il entretient avec sa mère, Saïda Mouh, et qui a été largement médiatisée lors du Mondial, est consolidée par la fake news. Mais cette dernière, actuellement à la Mecque pour effectuer sa Omra (petit pèlerinage), a nié avoir été mise au courant de cette affaire.
Fraude fiscale ?
Du point de vue juridique, cette rumeur est aussi peu crédible. Car il existe dans la majorité des pays européens, dont la France où vit le joueur, deux principaux types de régimes matrimoniaux : le premier, celui de la communauté de biens, implique que ce qui a été acquis pendant le mariage par l’un des époux est partagé en cas de divorce, et le deuxième, celui de la séparation de biens, suppose que le non-partage des biens soit stipulé dans un contrat.
En somme, soit la fortune du joueur, considéré comme le sixième footballeur africain le mieux payé en Europe en 2022, sera partagée à la suite du divorce avec la mère de ses enfants, soit cette dernière sait déjà qu’elle ne pourra pas en bénéficier.
Finalement, l’itinéraire de cette fake news, en plus de confirmer la facilité à qualifier sans preuve les femmes de vénales dans une logique sexiste, montre la prévalence du manque de littératie médiatique. Ainsi, quand bien même la mère du joueur conteste, les internautes, au lieu de remettre en question l’information principale, considèrent ses déclarations comme la preuve d’une stratégie de communication élaborée. « À sa place j’aurais dit la même chose » ou encore « Elle a raison de nier», commentent-ils par dizaines.
Par Jeune Afrique
