Malgré leurs mutations en sociétés commerciales, les entreprises publiques de l’Etat concernées par la réforme conduite par le Comité de pilotage de la réforme des entreprises du portefeuille de l’État (COPIREP) en 2008, ont du mal à décoller. Problèmes structurels, dettes sociales et management défaillant, ces « canards boiteux » ont besoin d’un redressement avec le coup de pousse de l’État actionnaire, selon Mike-Gardy Diana, analyste économique qui a bien voulu répondre aux questions d’INFOS.CD. Interview.
INFOS.CD : Quatorze années sont passées depuis le lancement de la réforme des entreprises publiques transformées en sociétés commerciales. Quel bilan dressez-vous de leur efficacité ?
Mike-Grady Diana : Le bilan est très mitigé dans le sens où les trois objectifs pour lesquels on a décidé de réformer ces entreprises à travers un travail de qualité réalisé par le COPIREP n’ont pas abouti. On n’a pas pris le soin de suivre convenablement les mesures d’application afin de permettre à ces entreprises d’évoluer comme on le souhaitait.
Le premier objectif était de résoudre le problème de l’absence des ressources suffisantes de l’État.
Le deuxième objectif était de casser le monopole qui dérangerait un peu à la compétitivité qui est un facteur incitatif à la productivité et à la croissance économique par la suite.
Le troisième objectif était de répondre au double objectif leur assigné : la production et l’augmentation des capacités financières de l’État à travers les taxes et autres.
Quand on regarde seulement ces trois objectifs, l’on peut dire que ce projet de réforme n’a pas marché. Beaucoup d’entreprises restent encore sous la paille.
Qu’est-ce qui n’a pas été réalisé pour constater ce bilan peu reluisant ?
Ces entreprises étaient déjà des canards boiteux. Il fallait à tout prix leur donner une forme de sorte qu’elles participent à la productivité. Il fallait non seulement améliorer la production des biens et services mais aussi augmenter les recettes de l’État par leur contribution.
On a pris le soin de les réformer, mais l’on n’a pas tenu compte d’un élément essentiel : mettre à la disposition de ces entreprises des capitaux importants leur permettant de rouler et de prendre l’élan pour leur autonomisation.
Aujourd’hui, la dette des 20 entreprises de l’État est estimé à plus d’un milliard de dollars américains. Or, quand une entreprise a des problèmes de gestion sur le plan de redressement, la première des choses est de pouvoir réduire sensiblement sa dette sociale afin de lui permettre de se relancer et partir sur de nouvelles bases. Ce qui n’a jamais été fait. Toutes les réformes entreprises ne sont restées que sur le papier.
Il y a aussi le problème de contrainte politique et de management. Le dirigeant n’arrive pas pour remplir des « Targets » de gestion, mais plutôt pour répondre à un desiderata politique. On le détourne ainsi des objectifs de l’entreprise. De ce mandataire, il ne faudrait pas attendre grand-chose . Les contraintes politiques, qui ont engendré le déficit managérial, ont aussi été le plus grand problème dans cet échec.
Pour vous, le problème est à la fois structurel et managérial. Comment les corriger ?
A mon humble avis, les solutions proposées par le COPIREP restent d’actualité. Il faut juste des dispositions pratiques. La solution est de rendre ces entreprises autonomes. Aujourd’hui, on parle de l’embellie au niveau des régies financières. On devrait dans la loi de finances, réserver une enveloppe pour la relance des entreprises. Pour cela, il faut évaluer les besoins et rentrer dans le travail réalisé par le Copirep en essayant de mettre à jour les données. La plupart de ces entreprises ont encore alourdi leurs dettes sociales pour des raisons de survie. L’État doit réinjecter des moyens à ces entités, leur donner une bonne dynamique dans la productivité ou encore dans l’élan pour soutenir la croissance. Ce sera un moyen aussi de soutenir l’emploi, car au-delà du secteur privé, l’État détient une bonne part de l’emploi national. Si l’on veut améliorer les choses à ce niveau, il faudrait forcément rendre viable ces entreprises.
Quelle peut être la meilleure formule pour relever nos entreprises ?
Jusqu’aujourd’hui, les objectifs qui ont conduit justement à la reforme demeurent encore valables. D’ailleurs, la plupart des élites du pays l’ont salué. l’État peut créer un Fonds qui va servir de capital pour la relance des entreprises. C’est par là que nous pouvons puiser, formaliser les choses afin de permettre à ces entreprises de bénéficier de manière régulière d’un système de financement à très long terme. Question de leur permettre de se réinventer pour finalement être des entreprises très compétitives et offrir des éléments très nécessaires nous conduire vers la croissance économique.
Quel niveau de bénéfice attendre des entreprises performantes pour le développement de la RDC ?
Le bénéfice est double. Le premier bénéfice, c’est l’augmentation des capitaux de l’État via les performances que ces entreprises vont réaliser.
Le deuxième et plus grand bénéfice, c’est la qualité de l’offre de service et de la production. Je prends l’exemple de la SNEL qui fait partie de ces 20 entreprises transformées en sociétés commerciales. Cette société est dans le domaine de la souveraineté. Par elle, on peut décider de mettre à mal l’ensemble de la République. Par elle, il y a un quota important des éléments à la paix sociale. Quand on met la valeur commerciale dans la SNEL, c’est pour justement engager la dimension compétitivité. Quand il y a compétitivité, il y aura amélioration de l’offre de service et de performance. Quand il y a amélioration des performances, on joue sur plusieurs leviers et finalement la production s’accroît et on favorise la croissance économique.
Aujourd’hui, la grande difficulté est que le Congo est à limage du petit peuple. Tout ce qu’il produit, c’est pour des besoins de consommation. Pas de perspective. Ce qui fait que l’État continue à tourner à rond. On est encore jusque-là en train de panser nos plaies alors qu’à ce stade, on devrait se projeter quatre, dix, vingt ans dans l’avenir. Le Congo a plusieurs facteurs qui favorisent la croissance.
Quels sont ces facteurs ?
Par exemple la démographie qui est certes encore un handicap pour l’instant faute de politique cohérente, est une opportunité…
Dans les jours à venir, il y aura une guerre de l’eau. Or, le Congo constitue une de grandes sources d’eau douce du continent et de la planète. Le Congo peut capitaliser même l’eau des pluies.
Que l’Etat quitte la dimension curative et pense à l’avenir en proposant une politique qui répond à la fois à un besoin existentiel et au développement économique.
L’État doit soutenir ces entreprises. Dès qu’elles seront autonomes, elles sauront répondre aux dimensions commerciales. Ainsi, améliorer l’offre et augmenter les recettes de l’État.
Propos recueillis par Hugo Matadi