Le député du parti Envol annonce à « Jeune Afrique » sa participation au scrutin prévu en décembre. Plusieurs poids lourds de la politique congolaise sont déjà sur les rangs.
Kolwezi dans le Lualaba ; Kindu au Maniema ; Isiro, chef-lieu du Haut-Uélé… Depuis dix jours, Delly Sesanga a multiplié les meetings dans le cadre d’une tournée aux allures de précampagne. À chacune de ses sorties, il a critiqué le bilan de Félix Tshisekedi. Dénonçant le « régime de prédation, de corruption et de violation de la Constitution », il a sciemment alimenté les rumeurs sur son éventuelle participation à la prochaine élection présidentielle, censée se tenir le 20 décembre 2023.
« Félix Tshisekedi a échoué »
À onze mois du scrutin, c’est dans « Jeune Afrique » que l’élu de Luiza (Kasaï Central) a finalement choisi d’annoncer sa candidature.
« Félix Tshisekedi a échoué dans sa mission. Il a échoué à consolider la démocratie, à lutter contre la corruption, à préserver l’indépendance nationale. Les gens ont besoin d’une vraie rupture. C’est pour cela que j’ai pris la décision de me présenter », affirme-t-il.
Cette candidature est en préparation depuis plusieurs mois. Delly Sesanga avait annoncé son départ de l’Union sacrée, la mouvance présidentielle, en novembre 2021, en pleine polémique autour de la nomination du nouveau bureau de la Commission électorale nationale indépendante (CENI). Aux côtés de ses collègues du G13, plateforme informelle qui rassemblait en 2020 des personnalités de différents bords politiques et des représentants de la société civile, il avait notamment plaidé pour des réformes électorales. Réformes qui n’ont jamais été menées, selon lui.
« Le pouvoir multiplie les manœuvres pour organiser la fraude électorale », estime Sesanga, qui exclut toutefois un boycott du scrutin.
Depuis son départ de la majorité, on l’a aussi vu dénoncer à plusieurs reprises le train de vie de l’État et avoir des échanges houleux avec le président de l’Assemblée nationale, Christophe Mboso, qu’il n’a pas hésité à qualifier de « voyou » dans une déclaration à la presse.
« Ce régime s’est caractérisé par l’affaissement moral des institutions. Tshisekedi a divisé le pays et exacerbé les tensions », lâche-t-il.
En novembre dernier, il a également été convoqué devant une commission parlementaire pour avoir affirmé, comme Martin Fayulu, que les députés gagnaient bel et bien le salaire mensuel de 21 000 dollars – un montant que n’a jamais dévoilé l’Assemblée nationale, et qui avait déclenché une vive polémique en RDC.
Soutien de Tshisekedi en 2018
Delly Sesanga rejoint donc la liste des opposants, déjà nombreux, à se présenter sur la ligne de départ. Le 16 décembre dernier, Moïse Katumbi a lui aussi annoncé sa participation à la prochaine élection. Sesanga connaît bien l’ancien gouverneur du Katanga, puisqu’il a été le secrétaire général de sa plateforme politique, Ensemble pour le changement. Il avait néanmoins refusé d’intégrer le nouveau parti de Katumbi, Ensemble pour la République, préférant conserver l’autonomie de sa formation politique, l’Ensemble des volontaires pour le développement de la RDC (Envol).
Cette proximité ne les avait pas empêchés d’opter pour deux candidats différents en 2018. À l’époque, Katumbi, comme le reste de la plateforme Lamuka, avait soutenu Martin Fayulu – qui va tenter de prendre sa revanche cette année. Sesanga, lui, avait apporté son appui à Félix Tshisekedi. Un choix qui lui avait valu les critiques d’une partie de ses collègues de l’opposition, dont certains l’ont accusé d’avoir cherché à sécuriser son siège de député dans le Kasaï, fief de Tshisekedi, et d’avoir tenté d’intégrer le premier gouvernement.
Ce dont il s’est toujours défendu. « Je n’ai jamais été élu dans ma circonscription avec le soutien de l’UDPS [l’Union pour la démocratie et le progrès social] et je ne me suis pas battu pour un positionnement personnel dans un gouvernement », assure-t-il. Député de Luiza depuis 2006, il assure d’ailleurs avoir rapidement pris ses distances avec la nouvelle administration.
« Dès mai 2019, quand se discutait le programme dit des 100 jours, et qu’éclata ensuite l’affaire des 15 millions de dollars de recettes pétrolières, j’ai vu une propension au sein du régime à défendre les actes de corruption », relate-t-il, en accusant le régime de faire preuve de « clientélisme ».
Ces réserves ne l’avaient pas empêché de rejoindre l’Union sacrée, née à la suite de la rupture de l’alliance nouée entre Félix Tshisekedi et Joseph Kabila. Il s’en éloignera un an plus tard :
« L’Union sacrée n’a jamais été l’espace de consensus et de discussion qu’espéraient ceux qui l’ont rejointe », tacle-t-il aujourd’hui.
De Bemba à Katumbi
Désormais candidat à son tour, Sesanga briguera la magistrature suprême pour la première fois de sa longue carrière politique. Avocat de formation, passé par le Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD-Goma) en 1998 avant de rejoindre le RCD-Kisangani, il devient le directeur de cabinet de Jean-Pierre Bemba, le vice-président de Kabila et le candidat du Mouvement de libération du Congo (MLC) à l’élection présidentielle de 2006.
La même année, il occupe brièvement le poste de ministre du Plan à la place d’Alexis Thambwe Mwamba. Bemba emprisonné à La Haye à partir de 2008, Delly Sesanga quitte le MLC pour fonder l’Envol, en 2010. Il soutient un an plus tard la candidature d’Étienne Tshisekedi à la magistrature suprême. Malgré la défaite du Sphinx à l’issue d’un scrutin que l’opposition n’aura de cesse de contester, Sesanga continue de graviter autour de l’emblématique opposant au sein du Rassemblement. Après la mort de ce dernier, le député compte parmi les partisans d’une union de l’opposition pour contrer Joseph Kabila.
Qu’en sera-t-il cette fois-ci ? L’hypothèse d’une union de l’opposition semble pour le moment largement théorique. « Nous sommes nombreux à penser que ce régime n’a pas tenu ses promesses. Mais il ne faudrait pas que l’ambition d’un changement de pouvoir nous fasse oublier l’importance de se rassembler autour d’un projet, et non d’une personne. À nous de trouver la bonne personne pour le porter ensuite, esquive le patron d’Envol. Personne ne peut gagner seul au Congo. Attendons déjà que chacun puisse déposer sa candidature. Une fois que la liste définitive sera publiée, alors nous pourrons parler. »
Jeune Afrique