« La guerre qui nous est imposée […] exige des sacrifices ». Debout derrière son pupitre officiel, le 3 novembre, Félix Tshisekedi, l’air grave, a lancé un appel à la « mobilisation générale » pour faire face aux rebelles du M23, que Kinshasa qualifie de mouvement terroriste soutenu par le Rwanda.
Kigali continue de contester le rôle qui lui est attribué dans cette crise. Mais alors que le combats se sont intensifiés depuis le 20 octobre, menant à la perte, par l’armée congolaise, de localité comme Kiwanja et Rutshuru centre, la tension est aussi montée sur le front diplomatique. Vincent Karega, ambassadeur du Rwanda en RDC a été expulsé le 31 octobre.
En coulisse, plusieurs initiatives diplomatiques ont eu lieu pour tenter d’apaiser la situation. Sur le front militaire, la force régionale conjointe, dont le déploiement se fait attendre depuis des mois et qui suscitent encore plusieurs interrogations, a également trouvé un second souffle avec l’arrivée prochaine de troupes kényanes.
Dans ce contexte tendu, le ministre congolais de la Communication Patrick Muyaya a accepté de répondre à Jeune Afrique.
Jeune Afrique : Dans son allocution du 3 novembre, Félix Tshisekedi a lancé un appel à la mobilisation de la jeunesse et à son enrôlement dans l’armée. La RDC est-elle en train de changer d’approche dans ce conflit ?
Patrick Muyaya : Nous n’avons pas d’autre choix. Quand pendant plus de trois ans vous faites tous les efforts nécessaires sur le plan diplomatique pour mettre fin à des décennies de violence mais que les choses ne changent pas, à un moment donné il faut admettre que l’on doit changer d’approche.
Le président a clarifié les choses, il a dit que l’on faisait le choix de la diplomatie et pas de la guerre. En réalité, nous sommes déjà dans un état de guerre mais c’est une situation imposée par d’autres.
Si nous sommes allés à Nairobi [en mai], c’est parce qu’il est nécessaire d’entamer un processus politique afin d’essayer d’engager un dialogue avec les groupes armés, dont le M23 et de régler le problème de l’insécurité de manière définitive.
Cela avait été accepté par tout le monde jusqu’à ce que le M23, soutenu par le Rwanda, perturbe les choses. Il est évident que le Rwanda n’a pas intérêt à ce que la RDC soit en paix, car la guerre lui permet de poursuivre son pillage.
Dans son discours Félix Tshisekedi a appelé la jeunesse à se constituer en groupes de vigilance. En quoi consistent-ils ?
Le président a parlé de groupes de vigilance et d’enrôlement dans l’armée. Il faut faire la différence entre les deux. Vous pouvez être vigilant sans forcément être engagé dans les troupes. Aujourd’hui tout le monde doit être mobilisé, personne ne doit penser que c’est l’affaire des autres. C’est ça le message. Il faut que les jeunes soient dans un rôle pro-actif, pour détecter s’il n’y a pas des infiltrations, et de l’autre côté ceux qui le souhaitent peuvent aussi s’engager.
N’est-ce pas une initiative risquée, dans un contexte où certains partenaires s’inquiètent de discours xénophobes ?
Le Congo compte à peu près 100 millions d’habitants. Le Rwanda justifier la défense d’une communauté en occasionnant la mort et le déplacement massif des autres communautés. Qui lui a donné mandat pour le faire ? Où voient-ils un discours xénophobes du côté des autorités ? C’est un argument qu’ils utilisent pour faire oublier le véritable problème : l’agression de la RDC par le Rwanda.
L’expulsion de Vincent Karega formalise-t-elle la rupture des relations diplomatiques avec le Rwanda ?
Le rôle d’un ambassadeur est normalement de faciliter les relations entre les deux pays. Notre décision est donc une réponse à la rhétorique violente que le Rwanda a choisi. Karega savait qu’il pouvait partir à tout moment. Si nous avons retardé cette décision c’est parce que nous voulions préserver une fenêtre de discussion. Mais vu comment les autorités rwandaises s’entêtent actuellement, il est clair que la paix ne les intéresse pas.
Les processus de Luanda et de Nairobi qui cherchent à parvenir à des accords de paix ont-ils encore un avenir ?
Bien évidemment. Il faut juste comprendre que nous avons deux impératifs aujourd’hui : avancer sur le front diplomatique et défendre notre territoire. Nous ne voulons ni faire la guerre, ni envahir le Rwanda. Mais le problème aujourd’hui c’est que le Rwanda ne fait pas sa part.
Malgré un plaidoyer mené lors de chaque déplacement du chef de l’État, la RDC peine à obtenir la condamnation du soutien rwandais qu’elle dénonce. Comment l’expliquez-vous ?
Le problème c’est que la communauté internationale fait preuve d’hypocrisie dans cette crise et ne veut pas assumer sa responsabilité dans ce qui se passe au Congo. On ne peut pas dire que le M23 a les moyens d’une armée conventionnelle et ne pas prononcer le nom du Rwanda. On ne peut pas applaudir le travail d’un homme comme Denis Mukwege sans condamner ceux qui pérennisent cette violence. L’Ukraine est de loin plus importante pour certains membres de la communauté internationale, mais ils doivent se rendre compte que le comportement du Rwanda n’est en rien différent du comportement russe.
Le dernier rapport de Human Rights Watch pointe la collaboration d’unités de l’armée avec des groupes armées dont les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR). Que fait la RDC pour régler ce problème ?
On ne peut pas comparer une force d’occupation comme le M23 avec les FDLR. Les FDLR font plus de dégâts au Congo qu’au Rwanda. Ils ne constituent pas une menace pour eux. Lorsque le Rwanda parlent de collusion, c’est faux, notre armée ne collabore pas avec de mouvement.
Mais le rapport du groupe d’experts de l’ONU, qui évoque le soutien du Rwanda au M23 parle aussi de ce problème…
Le gouvernement rwandais sait qu’il n’y a pas de stratégie de collaboration entre notre armée et les FDLR. Si sur le terrain il se passe de telles choses nous le condamnons, le président l’a déjà dit. Mais ce n’est en rien comparable avec un mouvement armé qui occupe des pans entiers du territoire.
Quand est-ce que la RDC a déjà attaqué le Rwanda ? Il n’y a pas d’équivalence à faire là-dessus. La dynamique qui avait été instaurée avec le Rwanda aurait pu permettre de gérer ces questions. Le rapport HRW précise d’ailleurs que le président s’est prononcé contre toute alliance entre l’armée et des groupes violents.
Le Kenya a annoncé le déploiement de ses troupes en RDC mais des hésitations stratégiques autour de la force régionale conjointe semblent persister. Les militaires kényans vous ont-ils garanti qu’ils s’engageront dans des affrontements directs avec le M23 ?
Cette force sera avant tout une force d’imposition. Elle va se déployer, mais en parallèle, il reste un processus politique. Car l’objectif principal n’est pas de recourir à la force pour mettre fin aux groupes armés. Mais il y a un point de blocage à Luanda et à Nairobi, et c’est le Rwanda.
Pourquoi l’Ouganda, également soupçonné d’assister le M23, ne fait-il pas l’objet des mêmes condamnations ?
Nous n’avons jamais retrouvé le matériel militaire des Ougandais en RDC. Nous avons entendu des informations qui allaient dans ce sens, mais nous vérifions tout cela à travers les mécanismes appropriés.
Un retrait du M23 des zones occupées permettrait-il de reprendre le dialogue à Nairobi ?
Le processus a été perturbé parce que le M23 a repris les armes. Ce que le Rwanda fait à travers le M23, c’est plomber tout le processus de Nairobi. Aujourd’hui des préalables ont été fixés, il faut que le M23 quitte les positions qu’il occupe. Et il faut qu’ils entendent que nous n’engageront pas de dialogue séparé et direct avec eux. Quel message est-ce que cela enverrait aux autres groupes armés ?
Avec Jeune Afrique